Les paris en ligne et La Française des Jeux


Il y a de bonnes raisons pour qu’il existe un contrôle efficace dans le monde des jeux et des paris : raisons morales, pour protéger les joueurs eux-mêmes d’excès désastreux, et raisons pratiques, car beaucoup d’argent attire beaucoup de convoitise criminelle. Les États ont donc mis en place des structures pour vérifier et gérer la bonne conduite des casinos, salles de jeux, hippodromes et autres. En France les jeux se divisent en trois entités distinctes, les casinos sous l’autorité du ministre de l’Intérieur, La Française des Jeux qui possède le monopole de l’offre de loteries et de paris sportifs en ligne, et le PMU qui gère en monopole les paris sur les courses hippiques. Un secteur donc bien défini, réglé et ficelé.

Cependant ce secteur est maintenant sous pression avec, d’une part le développement de l’Internet et des paris en ligne, de l’autre la volonté de la Commission européenne d’ouvrir l’industrie des jeux à la concurrence. La France a cependant affiché plusieurs fois sa détermination à faire respecter le monopole et à appliquer les lois en vigueur. En septembre 2006 par exemple, deux cadres de la société Internet autrichienne Bet and Win (depuis bwin.com) qui avaient annoncés le sponsoring de l’équipe de foot de Monaco ont été arrêtés et incarcérés par les autorités car la législation française interdit toute publicité pour les paris sportifs. C’est pour les mêmes raisons que l’équipe cycliste Unibet a été exclue du Tour de France en juin 2007, bien que l’équipe cycliste de la Française des Jeux ait pu rouler sans contrainte et que le PMU était l’un des principaux sponsors de la grande boucle. La Commission européenne, qui a déjà mis en demeure la France en 2006, n’a pas attendu longtemps avant d’adresser à la France un « avis motivé » lui donnant deux mois pour ouvrir ce secteur, après quoi la France serait traînée devant la Cour de justice européenne. En attendant, la position de la France a été sérieusement affaiblie par la Cour de cassation française qui, en juillet, a annulé en appel la condamnation en 2005 de la société maltaise Zeturf attaquée par le PMU pour les paris illicites sur leur site Internet. C’était la première fois que la jurisprudence européenne dans ce secteur était employée pour casser un arrêt, mais la décision n’a rien fait pour clarifier la situation juridique[1].

Après un été de consultation et de réflexion, le gouvernement Sarkozy semblait réagir plus positivement au problème. En novembre une réunion entre le Ministre du budget français, Éric Woerth, et le Commissaire européen responsable a eu lieu pour tenter de résoudre la situation et d’établir un calendrier pour discuter des sujets de discorde. La France souhaite que ses contrôles stricts soient appliqués également aux sociétés étrangères pour éviter le blanchiment de l’argent et l’implication d’éléments criminels. Elle ne veut pas accepter non plus le principe de reconnaissance mutuelle – ce qui est reconnu légal dans un pays est reconnu légal dans un autre -, et elle ne veut surtout pas que la France soit singularisée comme fautive, car d’autres pays comme la Suède et l’Allemagne ont également eu des rappels à l’ordre de la part de la Commission.

Hasard du calendrier, provocation ou maladresse, une autre arrestation pour infraction au monopole du PMU et de la Française des jeux a eu lieu en même temps : cette fois-ci c’est le PDG suédois du groupe Unibet qui a été arrêté par la police néerlandaise le 25 octobre à l’issue d’un mandat d’arrêt européen par le tribunal de Nanterre[2]. Il a été rapidement relâché après avoir versé une caution de 200 000 €, mais la façon d’agir péremptoire de la France a été jugée excessive et contre-productive par plusieurs de ses partenaires européens.

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Quelques chiffres clés

* En 2007, les trois opérateurs français ont enregistré une recette de 20 947 milliards d’euros : 9 306 milliards pour la Française des Jeux (FDJ, 38 698 points de vente), 8 841 milliards pour le PMU (252 hippodromes, 9 800 points de vente), 2,8 milliards de produit brut des jeux (PJB, différence entre mises et gains) dans les 197 casinos et leurs 21 000 machines à sous. 6 milliards d’euros sont ainsi tombés dans les caisses de Bercy en 2007 (prélèvements divers, taxes, impôts).

* La Française des Jeux (FDJ) est une société mixte, qui appartient à l’État français à 72 %. Le capital qui reste est partagé entre les anciens émetteurs de billets (20 %), Soficoma (les agents de vente) (3 %) et les salariés (5 %).

* FDJ a vu son chiffre d’affaires en baisse de 1,8 % en 2007. Les gains reversés à ses 29 millions de clients sont de l’ordre de 50 % pour le jeu Euro Millions et 70 % pour le Loto Foot. 250 millions d’euros seulement sont affectés au développement du sport. L’État prend 75 % du reste.

* Pour référence, Camelot, qui gère la loterie nationale en Grande-Bretagne, reverse 50 % aux joueurs, 28 % aux bonnes causes, 12 % au gouvernement, 5 % aux détaillants, 4,5 % en frais de fonctionnement et 0,5 % aux actionnaires de Camelot.

* Les casinos, eux, ont l’obligation de reverser au minimum 85 % des sommes jouées, et reversent en général plus de 95 % pour attirer les joueurs (et même jusqu’à 98 ou 99 % pour les casinos en ligne).

* La PMU reverse plus de 73 % aux parieurs.

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La France souhaite procéder à l’ouverture “maîtrisée” du secteur mais elle n’est pas prête à lâcher à la fois le beurre et l’argent du beurre. Dans un secteur plus ouvert, la France doit revoir ses ponctions à la baisse. Les sociétés qui proposent des paris sur Internet hors de l’hexagone échappent au contrôle de Bercy et de plus, ils reversent davantage de gains aux joueurs, ce qui les rend beaucoup plus compétitifs. Une refonte de la loi sur les jeux, surtout son application aux paris sportifs en ligne et l’établissement de casinos virtuels, est en perspective. Les procès en cours ont été suspendus jusqu’à nouvel ordre et la législation tant attendue à la fois par les sociétés de paris en ligne européennes et les groupes français comme Partouche devrait voir le jour en 2008[3].


[1] Le site Droit & Technologies a suivi l’affaire de près : http://www.droit-technologie.org/actuality-1059/pmu-contre-zeturf-l-arret-de-la-cour-d-appel-de-paris-est-casse-les.html

[2] La société Unibet est un bon exemple d’entreprise Internet moderne. Elle est immatriculée à Malte, conduit ses affaires en Grande-Bretagne et est cotée à la bourse suédoise !

[3] À l’heure de la publication de cette édition, le Ministre du budget Éric Woerth a annoncé la fin du monopole de la Française des Jeux et du PMU, mais les dispositifs fiscaux restent à préciser.


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