Les logiciels sociaux, de nouveaux médias ?


Du Web 2.0 à l’entreprise 2.0

La société en réseau est nécessairement un mélange de technique et d’humain. La technique a été le facteur primordial du développement de notre société, l’humain a ensuite « pris le dessus » sous plusieurs formes : le retour de l’échange physique, la tentative de mise en œuvre d’une intelligence collective, l’influence grandissante des terminaux.

Du cyberespace (zone technique) on est revenu à la place, au lieu, à un échange physique utilisant un média du plus simple, comme le téléphone mobile, au plus complexe, le groupware par exemple. «T OU» est la phrase la plus prononcée sur un téléphone mobile. Le groupware devait permettre initialement de travailler ensemble, il a été détrôné au profit du social software.

Le développement stratégique de l’intelligence connective s’accélère. La société réalise une étape importante en passant du blog au tag. Le blog est un partage de pensées et d’opinions. « Sur un blog, c’est encore moi ». Le blog est évolution technologique des langages utilisés par le Web, c’est aussi un «tournant épistémologique» important de l’Internet avant l’apparition des « social software ». Les « Tags » et « Flags » attestent de la présence de l’humain dans la technologie comme si elle ne pouvait se passer de lui.

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D’autre part, la convergence généralisée sur le portable est en cours, elle a lieu avec les PDA, le Blackberry et les puces RFID notamment. Les terminaux communiquent alors par des réseaux basés sur un système proche du Wifi. Dans ce cas, la première des fonctions du réseau mise en œuvre est le repérage de l’individu dans l’environnement global.

La génération future de ces systèmes ou « Internet zéro »[1], consistera en un monde où tout est connecté de point à point. Il existe alors une interconnexion entre tout ce qui est électronique, et l’électronique est présente partout. Le partage des écrans devient une réalité : le téléphone mobile, l’écran d’ordinateur, les télévisions jouent les mêmes fonctions. Le temps passé sur le téléphone portable « vole » celui qui est passé devant la télévision. Les activités effectuées avec le téléphone portable sont plus relationnelles. Pire, l’homme dort avec son téléphone portable allumé, comme s’il avait peur de rater une communication. Il est en état de connectivité permanente.

Le terme Web 2.0[2] s’est substitué en 2006 à ceux plus ambigus d’informatique sociale ou de logiciels sociaux. Nous utiliserons dans ce document l’ensemble de ces termes. L’implémentation des logiciels sociaux pourrait s’analyser suivant trois grands écarts (ou lag) : l’écart technologique, l’écart de procédures et celui de cultures. Nous avons choisi de nous intéresser à la théorie déjà ancienne de ces logiciels, avant d’en décrire les caractéristiques fondamentales issues des travaux que nous avons réalisés, complétés par des informations collectées dans différents médias. Une troisième partie aborde les logiciels sociaux dans leur développement actuel. Cette partie précède des méthodes de construction de logiciels sociaux, cette dernière approche normative découle, de fait, des précédentes.

Avec une certaine dose d’humour la revue la recherche a publié un numéro en novembre 2007 avec pour titre : « Web 3.0, l’Internet du futur, ce qui va changer dans l’accès à l’information »[3].

Les logiciels sociaux actuellement

Dans cette partie, nous tenterons de faire l’état de l’art des logiciels sociaux. Une typologie de ces logiciels précède l’analyse de trois points principaux : l’effet de réseau, la linéarité informationnelle, la formation des communautés. Nous ne traiterons pas de problèmes plus techniques que sont la gestion des bases de données et celle des dictionnaires. Dans cette partie, nous ne traiterons pas de sujets fort débattus autour des notions d’information et de connaissance.

1. Les logiciels sociaux et l’informatique sociale actuelle

Les logiciels sociaux ont évolué du blog au social software[4]. Deux points doivent être notés : tout d’abord, cette décomposition n’est pas une segmentation car des logiciels sociaux commerciaux peuvent appartenir à différents groupes. D’autre part, l’apparition de ces différents types est concomitante.

Chat, forum, Blog sont les précurseurs des « social software ». Trois types se distinguent : ceux qui « font société », les logiciels de construction de biens publics, et le monde du tag ou du flag.

Les logiciels qui « font société » conduisent à la création de groupes « sociaux » de personnes, de « tribus numériques » qui cherchent à obtenir une accessibilité sociale. Les plus connus sont assurément Orkut, Friendster, MySpace.com, Peuplade et asmallworld. LinkedIn, OpenBC ou Viaduc sont des logiciels plus professionnels. Dans ces outils, un individu affiche ses amis et leurs centres d’intérêt.

Le logiciel emblématique, qui permet la construction d’un bien public est Wikipedia.

Wikipedia est présent dans 250 langues. Il reçoit 220 millions de visiteurs uniques qui utilisent ou amendent les 9 millions de notices existantes. La version francophone contenait 695 000 articles en juin 2008, ils sont rédigés par 360 000 volontaires. À titre de comparaison, la version française de l’Encyclopædia Universalis propose 30 000 entrées).

Le monde du tag répond au désir d’indiquer ce qui nous intéresse en tant qu’individu. Les spécialistes américains parlent de « social bookmarking », dont Facebook, Flickr et MySpace sont les dignes représentants. Chacun des participants « pense avec d’autres », ils sont connectés ensemble, ils affichent leurs choix et agitent des sortes de drapeaux qui représentent leurs idées.

Facebook a été lancé dans la Silicon Valley californienne par Marc Zuckerberg en 2004 pour servir de trombinoscope pour les étudiants d’universités. C’est devenu un phénomène mondial qui comptait en mars 2008 plus de 66 millions d’utilisateurs. Selon la communication de la société lors du lancement de la version francophone en mars 2008[5], le classement des pays serait le suivant : États-Unis, Royaume Uni, Canada, Turquie, Australie et France. Les internautes français seraient 1,4 millions et les francophones 1,5 millions. Le nombre de visiteurs uniques par mois aurait dépassé les 100 millions en janvier 2008. Le chiffre d’affaires serait de 150 millions de dollars en 2007.

2. L’effet du réseau

Actuellement, le réseau est omniprésent. Ce sont d’abord les réseaux physiques, comme ceux des télécommunications, par exemple. Chacun et chacune d’entre nous entretient son propre réseau, tant sur le plan personnel que professionnel. Pour « remplir » ces réseaux, les logiciels dits « sociaux » sont apparus. MySpace, Spock ou encore Facebook ont particulièrement réussi dans ce domaine. Ils apparaissent aujourd’hui comme un mélange des trois mondes précédents.

MySpace reste en 2008 le leader, Facebook s’est positionné en challenger. Ces deux « logiciels » sont tous deux d’origine américaine. Les chiffres de Facebook parlent d’eux-mêmes : 300 000 enregistrements par jour, plus de 70 millions d’utilisateurs, 2,7 millions de visages, 18 030 applications, la majorité des utilisateurs est âgée de plus de 35 ans. Ainsi, Facebook a construit la plus grande « place de marché » du monde.

Les logiciels sociaux permettent également la diffusion d’informations. Ils agissent, en quelque sorte, comme des médias un peu particuliers. Ils permettent non seulement la mise en relation des membres d’une communauté mais ils servent également de points de visibilité des investisseurs et de la presse. Ils modifient ainsi la courbe en S du processus d’adoption d’un produit grâce à une reconnaissance plus rapide par les clients.

L’Allemagne, la France et la Grande Bretagne n’ont pas, à ce jour, su construire de telles solutions. Ces pays pourraient néanmoins rattraper leur retard en se posant la question suivante : comment faire évoluer la stratégie de portails comme Voila, AOL, Yahoo, vers des logiciels comme Facebook ou d’autres types de réseaux sociaux ?

3. L’entreprise 2.0

L’entreprise 2.0 est celle qui utilise le Web 2.0, donc les logiciels sociaux. Pour Dion Hinchcliffe, du cabinet de consultant éponyme, ces solutions conduisent naturellement les travailleurs à apporter leurs données, leurs outils et leurs techniques sur la « même place de travail informatisée »[6]. Cette approche a été utilisée par l’aéroport de Frankfurt (Fraport AG). Un système de type wiki a été introduit sous le nom de SkyWiki[7]. Actuellement, 1 000 articles de connaissance ont été écrits par 300 auteurs. Présenté comme un succès par son promoteur, Wieland Stutzel, il faut mettre en regard le nombre des auteurs (300) par rapport au nombre d’employés (19 000) soit 1,5 %. Dans cette approche, le vieux mythe de l’intelligence artificielle ressurgit. Dans les années quatre-vingt, des systèmes experts composés d’un moteur d’inférence et d’une base de connaissance devaient capturer l’ensemble des connaissances d’un individu dans une entreprise. Nous savons aujourd’hui que l’objectif n’a jamais été atteint.

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Tableau 2 : Liste des entreprises présentant des solutions 2.0 dans le cadre de la Conférence Enterprise 2.0 qui s’est tenue dans le cadre du CeBIT de Hanovre le 4 mars 2008

Euan Semple[8]pense que ces systèmes renforcent les relations entre les acteurs de l’entreprise et donc favorisent les coordinations. Ils sont très utilisés en tant que plate-forme pour « reposer » les documents importants de l’entreprise et favorisent donc la mise en place d’un management de la qualité. La société Motorola communique désormais sur l’utilisation de ces logiciels comme un atout dans son management d’entreprise. Les salariés de Motorola, interviewés par un questionnaire de satisfaction, ont confirmé l’intérêt de ces systèmes qui leur donnent le sentiment d’être propriétaires des informations du système.

La conférence Entreprise 2.0 du CeBIT a présenté quelques avantages de l’utilisation des logiciels sociaux dans l’entreprise. Les principes définis ici sont assez proches de ceux présents dans l’article fondateur du Web 2.0 par 0’Reilly.

L’apparition de règles internes à l’entreprise, qui s’autodéfinissent, représente le premier avantage. Une meilleure conformité aux régulations industrielles ou gouvernementales en découle automatiquement. Le deuxième point, plus controversé il est vrai, est la protection possible de la vie privée des utilisateurs. Enfin, les logiciels sociaux utilisés dans l’entreprise autorisent une meilleure sécurité de l’information organisationnelle. La facilité d’usage de ces systèmes encourage les employés à migrer leurs informations dans un tel système, et en favorise la conservation, l’utilisation, le contrôle de l’utilisation.

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Article co-écrit par Bruno SALGUES & Mélanie BLANCHARD


[1] Cette notion est issue d’un débat à Tunis entre l’un des auteurs et Derrick de Kerckhove, enseignant à l’Université d’Ontario, sur le sujet de l’avenir de l’Internet qui a eu lieu le 15 novembre 2005. Il est intéressant de noter à ce sujet que les grandes rencontres commerciales ont plutôt parlé de Web 2.0.

[2] Cette notion de Web 2.0 a permis à des consultants de laisser sous-entendre qu’ils étaient à l’origine de ce type de logiciels ou d’ignorer volontairement les travaux théoriques. Ils n’utilisent pas les termes de logiciels sociaux ou d’informatique sociale pour éviter d’être démasqués. Nous pensons, en particulier, au célèbre texte fondateur du cabinet 0’Reilly.

[3] Il s’agit du numéro 413 de la revue « La recherche » de novembre 2007, un dossier de la page 28 à 45 où le mot Web2.0 est totalement absent.

[4] Cette réflexion est issue d’un débat à Tunis entre l’un des auteurs et Derrrick de Kerckhove, enseignant à l’Université d’Ontario, sur le sujet de l’avenir de l’Internet qui a eu lieu le 15 novembre 2005.

[5] Cette information a été donnée au moment du lancement de la version francophone qui a eu lieu le 10 mars 2008.

[6] Cette théorie a été avancée pendant le séminaire Entreprise 2.0 qui a eu lieu au CeBIT le 4 mars 2008.

[7] Ces informations proviennent de la présentation qui a eu lieu pendant le séminaire Entreprise 2.0 qui a eu lieu au CeBIT le 4 mars 2008.

[8] Cette caractéristique a été mise en avant par ce consultant anglais pendant le séminaire Entreprise 2.0 qui a eu lieu au CeBIT le 4 mars 2008. Il a une grande expérience de la mise en œuvre de Web 2.0 dans l’entreprise.


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