Gouvernance Internet et noms de domaines en 2006


La gouvernance à petits pas

Le Sommet Mondial sur la Société de l’Information (SMSI), organisé à Tunis en novembre 2005 sous l’égide de l’ONU, avait conclu à la nécessité de créer un Forum sur la Gouvernance d’Internet (FGI), chargé de réfléchir à une nouvelle organisation internationale. Ce FGI s’est donc mis en place progressivement au cours de l’année 2006 : création d’un secrétariat et d’un groupe de conseil, deux réunions préparatoires en février et en mai afin d’en fixer le périmètre et la structure et enfin la première réunion du FGI à Athènes fin octobre. Plus de 1 000 participants, des échanges nourris sur de nombreux sujets (liberté d’expression, sécurité, multilinguisme, connectivité internationale), mais au final peu de décisions – si ce n’est de fixer le calendrier des réunions annuelles jusqu’en 2010. Espérons que les années qui viennent, au-delà des déclarations d’intention pleines de bonne volonté, donneront lieu à de véritables changements dans les structures de gouvernance d’Internet.

Le Memorandum of Understanding (MoU) liant l’ICANN au département du commerce américain (DoC) avait été signé en 1998 puis renouvelé en 2003, il expirait ainsi le 30 septembre 2006. Cette fois, c’est un « Joint Project Agreement » que les deux parties ont signé à la place du MoU, ce qui pourrait laisser plus d’autonomie au régulateur mondial d’Internet (l’avenir nous le dira). Rappelons que le MoU avait été conçu comme un contrat transitoire, l’ICANN ayant vocation à devenir à terme indépendante du gouvernement américain. La Commission Européenne s’est empressée de se féliciter de cette évolution.

S’il est une prérogative sur laquelle le DoC ne souhaite pas abandonner sa mainmise, c’est bien la gestion de la fonction IANA. Cette fonction cruciale permet de coordonner au niveau international les ressources logiques d’Internet, telles que les adresses IP ou les noms de domaine. Elle permet ainsi de créer de nouvelles extensions (comme le .EU en 2006) et inversement permettrait en théorie de débrancher l’extension d’un pays qui, par exemple, refuserait de se plier aux décisions internationales en termes de nucléaire militaire. Le contrat ICANN/DoC concernant la gestion de la fonction IANA expirant aussi en 2006, le gouvernement des États-Unis a publié un appel à manifestation d’intérêt pour la reprise de cette tâche et – ô surprise ! – c’est l’ICANN elle-même qui a été renouvelée dans cette fonction jusqu’en 2011…

Les relations entre l’ICANN et les gestionnaires d’extension

Les relations entre l’ICANN et VeriSign (registre des extensions COM et NET) n’ont jamais été très simples : un opérateur historique voit souvent d’un mauvais œil l’arrivée d’un régulateur qui lui impose des obligations nouvelles… Fin 2005, VeriSign obtenait la prolongation de son contrat de gestion du .COM en échange de l’abandon de son action en justice contre l’ICANN datant de 2004. Le nouveau projet de contrat prévoyait une reconduction tacite de VeriSign en tant que gestionnaire de l’extension .COM jusqu’en 2012 (peu favorable au développement de la concurrence entre registres), mais aussi la possibilité d’augmenter les tarifs des noms de domaine .COM sans aucun contrôle. Suite aux critiques reçues en retour de la part des bureaux d’enregistrement, une deuxième version du contrat était publiée en février, limitant les hausses de tarif à 7 % par an, sur 4 années au maximum. Ce contrat a finalement été signé fin 2006, avec un amendement soumettant les hausses de prix à l’aval du DoC. Les tarifs facturés par VeriSign aux bureaux d’enregistrement devraient donc augmenter fin 2007, pour la première fois depuis 1999 ! VeriSign justifie ces augmentations par l’accroissement de l’usage d’Internet et par la nécessité d’assurer la sécurité et la disponibilité d’un système DNS de plus en plus attaqué (octobre 2002, février 2007).

Concernant les extensions BIZ, INFO et ORG, de nouveaux contrats étaient proposés en juin par l’ICANN, prévoyant également la suppression du contrôle des prix. Et là aussi, devant la polémique qui s’en est suivie, c’est une nouvelle version du contrat limitant à 10 % par an les hausses de tarifs qui a été signée par l’ICANN en décembre.

L’ICANN semble plutôt disposée à laisser les registres fixer librement leurs tarifs. Peut-être faut-il y voir une analogie avec son propre budget, qui explose depuis des années : + 40 % pour l’année fiscale 2006-2007 à 31 millions de dollars.

La situation est plus apaisée du côté des extensions nationales. Selon l’expression consacrée, de plus en plus de registres nationaux « normalisent leurs relations avec l’ICANN », particulièrement en Europe (Allemagne, Finlande, Hongrie, Lituanie, Norvège, République Tchèque, Royaume-Uni) et en Amérique Latine (Chili, Guatemala, Honduras, Nicaragua, Panama, Pérou). Il s’agit d’un échange de courriers dans le but de formaliser leurs relations réciproques. Certains registres vont même plus loin en adhérant au ccNSO, entité de l’ICANN regroupant les registres nationaux d’extensions : l’AFNIC (France) en février et même Nominet (Royaume-Uni) en juillet, auparavant très hostile à cette entité. Les gestionnaires d’extensions nationales y voient une opportunité pour être informés de l’intérieur sur l’évolution de la gouvernance et l’ICANN tente ainsi de multiplier ses soutiens au moment où son avenir se joue peut-être au FGI…

En décembre 2006, l’ICANN a proposé de changer sa structure juridique en organisation internationale privée basée aux États-Unis, sur le modèle de l’ONU. Ce qui lui permettrait de ne plus être soumise aux tribunaux californiens, devant lesquels elle est régulièrement attaquée.

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Quelques éléments de géopolitique 2006

Janvier : Google lance la version chinoise de son moteur, « conforme aux lois et réglementations chinoises » donc filtrant les contenus subversifs (autocensure).

Février : Suite aux caricatures du prophète Mahomet, de nombreux sites Web occidentaux subissent des attaques massives, essentiellement au Danemark.

Février : La Biélorussie interdit Internet aux particuliers.

Octobre : L’Iran oblige les fournisseurs d’accès Internet à brider les débits des connexions à 128 Kbps, pour limiter l’accès aux contenus subversifs.

Décembre : Suite au séisme au large de Taïwan le 26 décembre, plusieurs câbles sous-marins sont coupés, provoquant de fortes perturbations en Asie du Sud-Est pendant plusieurs semaines.

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Noms de domaine : un marché en pleine forme

Le marché des noms de domaine a connu en 2006 une croissance soutenue, liée à la naissance de nouvelles extensions (EU, MOBI…), à la libéralisation d’extensions existantes (France, Vietnam…), ainsi qu’au fort développement du second marché (revendeurs basés sur la spéculation).

L’extension EU réservée à l’Union européenne a été ouverte par étapes entre décembre 2005 et avril 2006. Ce fut un véritable raz de marée, l’extension entrant dans le Top 10 mondial quatre jours seulement après l’ouverture totale. Elle finissait l’année 2006 en 7e position (après COM, DE, NET, UK, ORG, INFO), avec 2,3 millions de noms enregistrés. Depuis le mois d’avril 2006, les institutions européennes utilisent le nom « europa.eu », au lieu de « eu.int » précédemment.

L’extension française FR a été ouverte aux particuliers en juin 2006, après une première ouverture aux personnes morales en 2004. Cette opération fut également un succès, avec 120 000 noms désormais déposés par des particuliers et la moitié des enregistrements depuis l’ouverture effectués à l’initiative de particuliers. L’ouverture a été accompagnée par la mise en place d’une procédure de résolution des litiges propre aux particuliers, en partenariat avec le Forum de Droits sur Internet. Quelques cas de cybersquatting sont apparus, conduisant l’AFNIC à bloquer en juillet 2006 un ensemble de noms litigieux, en majorité des patronymes.

L’extension MOBI réservée aux contenus pour équipements mobiles a été ouverte entre juin et octobre 2006. Son gestionnaire dotMobi est soutenu par de grands noms du secteur : Ericsson, Google, la GSM Association, Hutchison, Microsoft, Nokia, Samsung, Telefónica Móviles, T-Mobile, Vodafone… Une ouverture largement réussie, avec 400 000 noms en février 2007. Certains noms à valeur ajoutée (dits « noms premiums ») ont été mis aux enchères, atteignant 200 000 $ pour « flowers.mobi ». D’autres sont proposés en échange d’engagements contractuels (développement de services innovants, ergonomie…) : « news.mobi », « ringtones.mobi », « sports.mobi », « weather.mobi ».

D’autres nouvelles extensions génériques ont également été mises en service au cours de l’année 2006 : CAT en avril (Catalogne), TRAVEL en décembre (professionnels du tourisme). Devraient suivre courant 2007 les extensions ASIA (Asie) et TEL (extension technique visant à regrouper les contacts électroniques des utilisateurs sous une interface unique). Cette dernière ne devrait pas être utilisée pour identifier des sites Web, de manière à ne pas concurrencer le .MOBI.

La saga du .XXX continue ! Après un premier refus en 2000, l’ICANN avait fini par avaliser le contrat de l’extension pornographique en juin 2005, avant de faire volte-face sous la pression des autorités américaines. L’opérateur ICM Registry a alors proposé une nouvelle version plus stricte de son contrat en avril 2006 (interdiction de la pornographie infantile, interdiction d’émettre du spam, nécessité d’identifier clairement la nature des sites, etc.). Nouvelle décision défavorable de l’ICANN, à nouveau très critiquée car prise à huis clos. ICM Registry fait appel de cette décision et engage en parallèle une action en justice contre le DoC pour ingérence gouvernementale. Pourtant, deux sénateurs américains avaient proposé en début d’année de relancer l’extension XXX pour la protection de l’enfance, dans l’objectif de contraindre l’ensemble des sites pour adultes à opérer sous cette extension (ce que la profession s’était empressée de rejeter). Début 2007, l’ICANN publiait une nouvelle proposition de contrat avec ICM Registry, avant de la rejeter à nouveau trois mois plus tard. Le registre, qui a déjà dépensé près de 3 millions de dollars dans l’histoire, en restera-t-il là ? L’Arlésienne du .XXX a probablement encore de beaux jours devant elle…

Internationalisation des noms de domaine

La Chine a créé en 2006 des extensions en caractères chinois (les équivalents de Chine, COM et NET en chinois), sans concertation avec l’ICANN. Un plug-in fourni par les autorités chinoises permet aux internautes locaux de choisir entre le réseau Internet classique et ce nouvel “Internet chinois”. Les partisans d’un DNS centralisé ont aussitôt critiqué la mise en place d’une racine alternative, qui pourrait conduire à une fragmentation du système international de noms de domaine, si le modèle chinois fait des émules…

En tout cas, cet événement a mis l’accent sur la nécessité de réfléchir à la possibilité d’inclure dans la racine DNS des extensions en caractères nationaux. L’ICANN et l’UIT ont lancé séparément des études techniques à ce sujet. Les noms de domaine internationaux (IDN) ont continué à se développer en 2006 : à Hong Kong, en Turquie. Par ailleurs, la version 7 d’Internet Explorer les intègre en natif, ce qui devrait accélérer encore leur adoption par les utilisateurs.

Après les précédents créés par les extensions continentales (EU, ASIA) et régionales (CAT), d’autres propositions d’extensions géographiques apparaissent concernant des régions (.BZH pour la Bretagne, .SCO pour l’Écosse, .CYM pour le Pays de Galles) ou des villes (.BERLIN, .LONDON, .NYC, .TOKYO). Un .PC pour la région Poitou-Charentes, pouvant également être utile au Parti Communiste Français, a également été évoqué, mais il s’agissait d’un poisson d’avril 2006. Au train où vont les choses, on risque de voir arriver des propositions d’extensions concernant des rues (.CHAMPS-ELYSEES, .CARNABYSTREET, .SUNSETBOULEVARD) ! Sans compter que, dans la seule France, 36 782 communes pourraient réclamer ainsi leur extension générique… A-t-on vraiment besoin d’un tel niveau de localisation ? Ou n’est-ce là qu’une manière de créer artificiellement de la valeur, en obligeant les entreprises à se protéger du cybersquatting dans un nombre toujours croissant d’extensions ?

Saluons au passage la naissance le 16 août 2006 de l’extension nationale AX correspondant aux Îles d’Ǻland, archipel situé entre la Suède et la Finlande. Bienvenue dans le concert des nations d’Internet !

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Statistiques 2006

Internautes : 1,1 milliard début 2007, dont 36 % en Asie (avec une marge de croissance importante, car le taux de pénétration n’est que de 11 %), 29 % en Europe (40 % de pénétration) et 21 % en Amérique du Nord (marché mûr avec 70 % de pénétration). En France : 31 millions d’internautes (+ 10 % sur un an) et un taux de pénétration de 50 %.

Noms de domaine : 120 millions fin 2006 (dont la moitié en .COM), + 32 % sur un an. Forte croissance en Chine (+ 150 % sur le .CN).

Sites Web : 101 millions de sites en octobre 2006.

Ventes records de noms de domaine en 2006 : sex.com (12 millions de $, estimation non confirmée), diamond.com (7,5 millions), vodka.com (3 millions), cameras.com (1,5 million).

Litiges : L’OMPI (Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle) a traité en octobre 2006 son 25 000e dossier nom de domaine, en 7 ans d’opération.
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Les 10 premières recherches sur Google en 2006

1. Bebo – Équivalent anglais de MySpace ou Skyblog.

2. MySpace – Espace de bloc-notes (blogs).

3. World Cup – Mondial oblige…

4. Metacafe – Un autre YouTube.

5. Radioblog – Radio sans publicité ni DJ.

6. Wikipedia – L’incontournable.

7. Video – Plus rapide à taper que YouTube ?

8. Rebelde – La présence de cette sitcom mexicaine témoigne de l’importance croissante des internautes hispaniques.

9. Mininova – Site d’échange de fichiers audiovisuels Bit Torrent en Poste à poste (P2P).

10. Wiki – Encore un raccourci clavier ?

La liste marque un tournant significatif vers le Web 2.0, par rapport à l’année 2005 où l’actualité prédominait. Pour plus d’informations, consultez Google Zeitgeist.[1]

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[1] http://www.google.com/intl/en/press/zeitgeist2006.html


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