La télé sur votre mobile… pas encore !


Nous avons longuement traité ce sujet l’année dernière, et beaucoup d’observateurs croyaient que 2006 serait l’année des décisions clés et que les grandes manœuvres commenceraient. Pas si simple, la télévision sur votre téléphone mobile[1].

Pour un observateur impartial, la télévision sur des plates-formes mobiles est un sujet fascinant qui entrelace toutes les facettes de la communication moderne. Comme nous l’avons décrit l’année dernière, la télévision mobile personnelle (TMP) en mode unicast, c’est-à-dire en envoi individuel vers l’utilisateur d’un téléphone mobile, fournie par un opérateur historique de réseau UMTS, est déjà en place en France et ailleurs. Cependant le constat en Europe n’est pas très prometteur, ni pour l’instant très porteur. Selon une étude menée en 2006 sur 20 000 utilisateurs, il y avait plus d’anciens consommateurs de contenu TV et vidéo (60 %) que d’utilisateurs courants (40 %)[2]. Les raisons d’abandon citées étaient clairement le prix, la qualité et la fiabilité du service. Le coup de pouce attendu à l’occasion de la coupe du monde de football en Allemagne était plutôt un pied de nez selon un autre sondage, cette fois-ci mené par NOP pour la société Olista auprès des utilisateurs britanniques, qui a révélé que 44 % des nouveaux utilisateurs ne se serviraient plus jamais d’un tel service[3] !

D’autre part la télévision en diffusion simultanée (broadcast), comme les réseaux de télévision numérique « traditionnels », n’avance qu’à petits pas. En France plusieurs études ont été menées pendant l’année impliquant tous les acteurs, les différentes technologies et équipements ; et naturellement ils se félicitaient mutuellement du succès de leur bilan. Alors pourquoi, à la fin de l’année 2006, la télévision mobile piétine-t-elle en France tandis qu’elle a été lancée en Italie, en Allemagne et au Royaume-Uni[4] ?

Les raisons de cette hésitation collective sont multiples :

* Avoir une couverture adéquate coûte cher, il faut libérer des fréquences ou changer leur attribution actuelle quelle que soit la norme choisie au niveau européen (et là il existe un différend, car d’autres technologies et normes peut-être plus performantes existent).

* Il y a « trop de mains dans le pot » ! Les opérateurs de téléphonie mobile (Orange, SFR), les fabricants de téléphones mobiles (Nokia, Sagem), les chaînes de télévision et de radio (M6, TF1, Canal Plus), les fournisseurs d’équipement de diffusion numérique (Thales), les spécialistes de diffusion (TDF, Towercast), les fournisseurs de contenu (à cette occasion la Coupe du monde de rugby, la ligue 1 de football) : chacun de ces intéressés veut défendre sa position et sa part de l’éventuel gâteau.

* Sans oublier que pour l’instant en France trois régulateurs sont compétents dans le domaine de l’attribution des fréquences : l’Agence nationale des fréquences (ANFR), l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) et pour la télévision le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA).

* Il est évident que les utilisateurs futurs ne seront pas prêts à payer cher pour l’utilisation au mieux ponctuelle d’un service doté d’une qualité inégale. L’utilisateur ciblé est souvent quelqu’un qui regarde la télévision dans les transports en commun, par exemple, ce qui posera des difficultés.

* Les formats télévisuels existants ne correspondent pas à un usage mobile continu mais plutôt à des clips vidéo (l’actualité, les extraits courts ou les miniséries tournées sur mesure). Les téléphones équipés pour la TMP restent un peu encombrants et, quand ils sont plus compacts, les écrans sont forcément plus petits.

Il est clair que les instances européennes veulent que la TMP connaisse le même succès que le GSM et le téléphone mobile à l’échelle européenne. Madame Viviane Reding, la Commissaire européenne en charge de la société de l’information, considère que la TMP peut servir de moteur de croissance pour le secteur européen des télécoms, avec la promesse de création de nombreux emplois. Mais il est peu probable que la TMP aura un impact majeur dans un futur proche pour les raisons citées ci-dessus. À la différence du GSM, nous avons déjà nos postes de télévision et nous avons la possibilité de consommer la télévision comme nous le faisons avec la musique et la radio : avec une connexion haut débit, le téléchargement et le transfert d’une vidéo vers un baladeur multimédia ou un téléphone mobile se fait sans peine. Il est vrai que l’immédiateté du direct est perdue mais elle est compensée par la facilité, la qualité et le prix. De même la télévision n’est pas simplement un produit technologique mais un produit culturel, avec toutes les contradictions et différences qui caractérisent l’Europe.

À la fin de 2006 le rapport Blessing parlait d’un « dividende numérique » suite au basculement de la TV analogique vers le numérique qui libérera des fréquences jusqu’ici utilisées pour la diffusion de la télévision. Il n’est pas facile cependant d’attribuer ces fréquences et le rapport souligne l’importance d’un partage équitable entre services et opérateurs. Quand la loi sur la télévision du futur sera enfin adoptée, nous verrons clairement si la TMP est avantagée ou pas.


[1] La télévision mobile a son forum, partisan mais informatif : http://www.forum-tv-mobile.com

[2] Source : M:Metrics Data, “Survey of British, German, French, Spanish and Italian mobile subscribers aged 13 and above in November 2006”.

[3] Voir http://www.olista.com/index.asp?id=153. Pour plus d’informations concernant la coupe du monde de football, la TMP et les sondages, voir http://www.160characters.org/news.php?action=view&nid=2071

[4] En Italie et en Grande-Bretagne, la société 3 est la pionnière avec « TV Digitale Mobile » utilisant la technologie DVB-H. En Allemagne, Debitel a lancé un service utilisant la technologie coréenne T-DMB.


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