2007 : le vingtième anniversaire de la privatisation de TF1


Privatisée en 1987[1], TF1 est considérée comme un modèle de réussite dans le domaine de l’audiovisuel. En vingt ans, TF1 leader de la télévision en France est devenue la première chaîne commerciale en Europe aussi bien en termes d’audiences, de publicité que de résultats.

Le contexte de la privatisation de TF1 en 1987

Quelques dates importantes jalonnent le développement de la télévision en France. Les débuts ont été marqués dans les années 1950 par la création de l’Office de Radiodiffusion-Télévision Française (ORTF) qui contrôlait toute la production et la diffusion audiovisuelles en France. La publicité sur les écrans est autorisée à partir de 1968 et sa gestion confiée à la Régie française de publicité. L’éclatement de l’ORTF se matérialise en janvier 1975 par une division des services de la radiodiffusion et de la télévision en 7 sociétés publiques autonomes (TDF, la SFP, l’INA, Radio France, TF1, Antenne 2 et FR3). Mais cette réforme montre rapidement ses limites face aux nouveaux modes de diffusion des programmes (câble, satellite), à la concurrence exacerbée entre les deux premières chaînes du service public, aux difficultés d’une politique effective de création d’œuvres originales, à une forte concentration des médias et aux débats récurrents sur l’indépendance de la télévision par rapport au pouvoir politique.

Les années 1980 sont marquées par une succession de lois dont celles du 30 septembre 1986 et du 27 novembre 1986 : les principaux fondements du paysage audiovisuel français (PAF) sont ainsi fixés. Ces lois, dont le champ d’application est très large, concernent pratiquement tout le secteur de la communication et des médias avec quelques mesures phare : création de la Commission Nationale de la Communication et des Libertés (CNCL) en remplacement de la Haute Autorité avec des prérogatives et des moyens financiers beaucoup plus importants (veille notamment au respect du pluralisme et à la concentration des médias), les concessions de La 5 (dont l’antenne s’arrête en avril 1987) et de La 6 sont réattribuées à de nouveaux concessionnaires en mars 1987. Mais l’un des faits les plus marquants au cours de cette décennie reste la privatisation en avril 1987 d’une chaîne de télévision du service public : TF1 est finalement choisie après quelques hésitations entre A2 et FR3. La France peut être considérée comme une exception car c’est le seul pays qui a opté pour la cession de sa chaîne publique historique, alors leader, au secteur privé.

De nouvelles réformes sont décidées en 1988 conduisant notamment au remplacement de la CNCL par le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) dont les missions sont rendues plus complexes en raison du poids plus important du secteur privé. En mars 1991, La sept est remplacée par ARTE (chaîne franco-allemande). Les deux chaînes du secteur public A2 et FR3 sont « rebaptisées » en septembre 1992 et deviennent respectivement F2 et F3.

Le processus de privatisation de TF1

En 1986, le nouveau ministre de la Culture et de la Communication engage le processus de privatisation de TF1 avec pour objectif la recherche d’un « mieux-disant culturel » pour les opérateurs de télévision. La culture devait occuper une place prioritaire dans la programmation de la future chaîne privée qui doit également obéir à des impératifs de rentabilité et à des objectifs fixés par les actionnaires.

Plusieurs groupes postulent auprès de la CNCL* : Hersant (presse), Havas (publicité et médias), Hachette-Matra (médias) et Bouygues (BTP). Considéré comme « l’outsider » de l’appel d’offres pour la vente de TF1, c’est le groupe Bouygues qui remporte la compétition. Le 16 avril 1987, Francis Bouygues remet un chèque de 3 milliards de francs à Edouard Balladur (ministre des Finances) et c’est un renversement total de l’équilibre public-privé à l’avantage de ce dernier qui se produit.

* Les auditions des différents candidats peuvent être visionnées sur plusieurs sites dont celui de l’INA.

TF1 : la réussite d’une stratégie de diversification

Au cours des deux dernières décennies, TF1 a mené une politique active de diversification autour de la production audiovisuelle, la commercialisation de droits audiovisuels, la télévision numérique, des chaînes thématiques (surtout sport et information), l’édition et la distribution (vidéo, édition musicale, etc.). Le groupe est présent sur l’ensemble de la filière audiovisuelle et a réussi à devenir leader sur un certain nombre de segments. Ainsi, les premiers axes de diversification de TF1 ont porté sur le lancement de chaînes thématiques telles qu’Eurosport et LCI. La chaîne Eurosport, à l’origine initiative d’un Consortium de 17 membres de l’Union Européenne de Radiodiffusion, a été relancée en 1991 par TF1 et Canal +. Depuis son lancement en 1993 sur le câble et le satellite, Eurosport est un modèle de réussite et compte près de 7 millions de foyers abonnés correspondant à 15 millions de personnes en France et près de 56 millions d’abonnés au total (hors de France) à la date du 31 décembre 2006. La chaîne est diffusée en 20 langues dans 59 pays. Ces chaînes thématiques éducatives ou d’information telles que LCI pour TF1 s’intègrent dans la stratégie des groupes de médias même si leurs audiences restent plus confidentielles. La Chaîne Info a été lancée en juin 1994 et est l’une des chaînes thématiques les plus regardées en France.

En 2007, TF1 reste toujours la première chaîne avec une audience en progression auprès de la « ménagère de moins de 50 ans » et des gains de part de marché publicitaire (avec près de 54,8 % de parts de marché publicitaire et plus de 30 % de parts d’audience). TF1 se maintient à cette place inconditionnelle de numéro un.

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Source : MédiaCabSat Médiamétrie (http://www.mediametrie.fr)

La position de leader qu’occupe TF1 tant en termes d’audience[2] que de résultats s’explique notamment par une chaîne éditoriale simple : familiale, événementielle et généraliste. Le principal challenger de TF1 est M6. La grille de TF1 est fondée sur sept thèmes majeurs : le cinéma, le sport, les divertissements, la fiction, l’information, les magazines/documentaires et la jeunesse. Les deux genres « Fiction télévisuelle » et « Divertissement, musique et spectacle » sont les plus représentés. Les séries américaines ont pris une place très importante dans la grille.

Comme pour les autres chaînes privées, les ressources de TF1 proviennent principalement de la publicité (près de 70 % en 2006). Ses recettes publicitaires sont en augmentation régulière. Même si le marché publicitaire français est fluctuant et marqué par une forte volatilité, les premiers chiffres pour 2007 donnent une croissance de l’ordre de 6 à 8 % pour TF1. Cette progression permet à TF1 d’adopter une stratégie offensive d’investissement dans les nouveaux médias. Ces bons résultats publicitaires s’expliquent par les audiences exceptionnelles réalisées sur la même période. La commercialisation de l’espace publicitaire est assurée par la filiale de TF1 : TF1 Publicité dont l’activité est exclusivement liée à l’antenne de TF1.

Ces bons résultats doivent être également interprétés à la lecture des chiffres du coût de la grille qui correspond aux coûts internes et externes des programmes diffusés. Ces coûts incorporent les charges relatives aux droits de diffusion échus ou réformés. Ces sommes très importantes ont des répercussions sur le résultat opérationnel courant qui enregistre en 2006 une baisse de 11,3 % par rapport à 2005 qui s’explique principalement par la hausse de 15,3 % du coût de la grille de l’Antenne TF1 (dont 113,6 M € de coût de diffusion exceptionnel lié à la Coupe du Monde de football 2006). Hors Coupe du Monde de football, la croissance du coût de la grille est de 2,9 %.

Évolution du coût de la grille 2002-2006 (en millions d’euros)

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Source : TF1 (Assemblée Générale 2007, 17 avril 2007)

2007 : De la fusion de TPS avec CanalSat… au changement de direction

L’engagement de TF1 dans la télévision à péage

TF1 a eu une stratégie de « follower » dans la télévision payante numérique en investissant dans un bouquet numérique par satellite TPS (Télévision par satellite) en 1996 en partenariat avec France Télévision, France Telecom, CLT, M6 et la Lyonnaise des Eaux. Cet engagement correspondait à l’origine à la volonté du groupe de défendre sa position face au poids croissant de Canal +, notamment dans l’acquisition de droits télévisuels et s’inscrivait dans un contexte plus général de baisse de l’audience des chaînes généralistes par rapport à celles du câble et du satellite. La société TPS lance en décembre 1996 son offre satellitaire qui met fin au monopole de Canal + avec CanalSatellite. La progression de TPS a été rapide en termes d’abonnés et l’offre de programmes comporte aussi bien des chaînes généralistes hertziennes, des chaînes thématiques (cinéma) qu’un accès à Multivision, un service de paiement à la séance (match de football, film) enrichie progressivement de services interactifs (Guide des programmes, services financiers, etc.). TPS a été également l’occasion pour TF1 et M6 de se rapprocher pour lancer en commun la chaîne familiale de divertissement TF6 en décembre 2000.

De TPS à la fusion avec CanalSat

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Source : CSA pour le nombre d’abonnés CanalSat et TPS (téléchargeable sur http://www.csa.fr/actualite/tableau)

Depuis leur création, la compétition entre les deux bouquets satellitaires TPS et CanalSat est intense et elle est renforcée par la rivalité pour l’acquisition des droits de diffusion des matchs de football, essentiels dans la politique de fidélisation des abonnés et de recrutement de nouveaux clients. Ces droits acquis à prix d’or menacent bien souvent l’équilibre financier de la chaîne qui les détient au détriment de son concurrent qui, lui, peut perdre une partie de ses abonnés. L’éventualité d’une fusion entre les deux plates-formes satellitaires avait été évoquée à plusieurs reprises, mais il a fallu attendre 2006 pour que l’annonce officielle d’une telle opération soit faite et 2007 pour que la transaction soit effective. Cette opération peut être analysée comme une conséquence du lancement de la TNT en France et de la multiplication des offres sur le réseau hertzien.

Le changement de direction

2007 marque également un tournant dans le management du groupe TF1. En effet, les deux personnalités emblématiques Patrick Le Lay (PDG) et Étienne Mougeotte (Vice-Président et Directeur général de l’Antenne), qui ont incarné pendant 20 ans le succès de TF1, ont de nouvelles attributions et pris de nouvelles fonctions : le 22 mai 2007, P. Le Lay a cédé la place de Directeur Général à Nonce Paolini (Directeur général de Bouygues Telecom) tout en gardant celle de Président (fonction dont les responsabilités sont limitées) tandis que E. Mougeotte a pris la direction de la rédaction du Figaro Magazine et depuis le 20 novembre 2007 a été nommé à la tête des Rédactions du groupe Figaro. La nomination de N. Paolini fait suite à la modification des statuts de TF1, adoptée en février 2007, qui dissocie les fonctions de président et de directeur général de TF1.

C’est une nouvelle ère qui commence pour TF1 avec le départ des dirigeants « historiques » des postes de management opérationnel et donc une nouvelle réorganisation qui s’annonce. Mais c’est également l’occasion de reformuler les orientations stratégiques et les moyens associés pour leur mise en œuvre. Le groupe se trouve face à des évolutions importantes et son objectif est de « devenir leader sur tous les segments occupés avec des contenus adaptés à toutes les plateformes ». À moyen terme, TF1 devra se positionner comme un groupe multimédia à part entière.

Quelles évolutions ?

Le financement des chaînes du service public risque d’évoluer rapidement, ce qui aura des répercussions importantes sur les chaînes privées et notamment sur TF1. En effet, une réflexion est menée sur la possibilité de supprimer totalement la publicité, volonté affichée par le gouvernement et rappelée par le Président de la République dans son discours du 8 janvier 2008 :

« Le service public, son exigence, son critère, c’est la qualité. Sa vocation, c’est d’offrir au plus grand nombre un accès à la culture, c’est de favoriser la création française. Je ne veux pas dire que la télévision publique doit être élitiste ou ennuyeuse, mais seulement qu’elle ne peut pas fonctionner selon des critères purement mercantilistes. Je souhaite donc que le cahier des charges de la télévision publique soit revu et que l’on réfléchisse à la suppression totale de la publicité sur les chaînes publiques qui pourrait être financées par une taxe sur les recettes publicitaires accrues des chaînes privées et par une taxe infinitésimale sur le chiffre d’affaires de nouveaux moyens de communication comme la téléphonie mobile et l’accès à Internet ».

TF1 est également confrontée à une intensification de la concurrence caractérisée par une multiplication des offres télévisuelles numériques. Au-delà des offres sur le câble et le satellite, le début des années 2000 a été marqué également par le lancement de la télévision numérique terrestre (TNT). La TNT permet la réception d’émissions en qualité numérique sur une antenne classique et l’offre d’un plus grand nombre de chaînes (gratuites et payantes). Elle a pour objectif de se substituer progressivement à la télévision analogique. La date de 2012 est actuellement avancée pour l’extinction du signal analogique dans toute l’Europe.

Parallèlement, l’arrivée des opérateurs de télécommunications et des FAI opérateurs d’IPTV qui proposent une offre « triple play » (Internet, téléphonie, télévision) et de plus en plus des services notamment de VoD en mode ADSL a (et aura) d’importantes répercussions sur les structures du marché audiovisuel et modifiera les relations entre les principaux acteurs.

En fait, les nouveaux modes de distribution audiovisuelle sur Internet remettent ainsi en question l’écosystème de la télévision traditionnelle et sont un nouveau défi pour toutes les chaînes de télévision. Ce sont tous les grands opérateurs de télévision qui sont confrontés aujourd’hui à la fragmentation des audiences liées à la fin du monopole de l’État et l’émergence de technologies concurrentes de diffusion qui conduisent à l’augmentation des coûts des grilles des chaînes. Les principaux acteurs visent de nouvelles recettes publicitaires et tentent de mieux cerner l’évolution des comportements des téléspectateurs, devenus plus « versatiles », qui adoptent différents modes de consommation audiovisuelle.


[1] Cet article, rédigé fin janvier 2008, vise à effectuer le bilan de 20 ans de privatisation de TF1 (1987-2007) et n’analyse pas les évolutions plus récentes du secteur audiovisuel (financement des chaînes publiques, nouvelle répartition des recettes publicitaires, arrivée de la TNT et baisse de l’audience des chaînes « généralistes », etc.) et des répercussions sur les chaînes de télévision dont TF1.

[2] Ces bons résultats s’observent surtout auprès des « ménagères de moins de 50 ans » qui correspondent aux mères de famille dans la segmentation des publicitaires. Cette catégorie de population est privilégiée par les annonceurs.


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