Deux ans après le vote de la Loi sur la Confiance dans l’Économie Numérique (LCEN), un premier bilan peut être dressé.
Rappelons les faits. La Loi de Réglementation des Télécommunications de 1996, qui annonçait l’ouverture des télécommunications françaises à la concurrence, ne faisait pas mention des collectivités locales qui continuaient ainsi de relever de l’article L.1511-6 du code général des collectivités territoriales (CGCT). Misant sur les différences existant entre la loi française et la législation européenne, quelques rares collectivités s’étaient alors engouffrées dans la brèche en décidant de se doter de leur propre réseau. Elles se sont vite heurtées aux opérateurs en place qui n’entendaient pas laisser s’installer de nouveaux acteurs. Quelques procès retentissants témoignent de cet affrontement passé.
Tout a changé en 2004 avec la promulgation de la Loi sur la Confiance dans l’Économie Numérique (LCEN). L’article L.1425, adopté le 21 juin 2004, autorise désormais ces mêmes collectivités à jouer un rôle actif dans l’aménagement numérique du territoire.
Les effets de ces initiatives publiques sont d’ores et déjà quantifiables. Fin décembre 2006, on dénombrait plus de quarante projets en phase de déploiement et presque autant (35) en phase d’étude. L’investissement total dépassait le milliard d’euros.
Une collectivité (région, département, communauté de communes…) peut donc à présent investir dans la construction d’un réseau. Ce réseau en place, plusieurs possibilités s’offrent alors. La collectivité peut jouer un rôle « d’opérateur à opérateurs » en proposant une mise à disposition d’infrastructure (fourreaux, fibres…) ou de bande passante. Le réseau est alors exploité au nom de la collectivité dans le cadre d’un contrat. La Délégation de Service Public (DSP) est aujourd’hui la forme juridique la plus répandue. Si une absence d’offres privées est constatée, la collectivité peut aller plus loin en fournissant elle-même des services à l’utilisateur final.
Un réseau de collectivité est généralement constitué d’une ou plusieurs boucles de collecte qui connectent entre eux les sites structurants du territoire (points de présence des opérateurs, zones d’activité, hôpitaux, établissements scolaires…). Le support privilégié du réseau de collecte est la fibre optique, ce qui suppose des travaux de génie civil pour la mise en place de fourreaux. On peut estimer que 75 % du coût total du réseau est imputable au génie civil. Les réseaux dits de desserte viennent s’interconnecter sur cette épine dorsale que constitue le réseau de collecte pour aller raccorder les clients. Les réseaux de desserte sont majoritairement en fibre optique, mais des solutions alternatives sont disponibles.
L’implication des collectivités dans les réseaux poursuit plusieurs objectifs. À court terme, il s’agit principalement de favoriser le dégroupage sur la paire de cuivre. Cet objectif est largement atteint. Au 31 décembre 2006, le bilan est particulièrement favorable puisqu’il indique que 12 384 nœuds d’accès de l’opérateur historique, soit 99 % du total, sont désormais accessibles au haut débit.
Publiée par l’ARCEP dans le cadre des travaux du comité des Réseaux d’Initiative Publique, une enquête menée plus précisément sur la région des Pays de la Loire confirme l’effet bénéfique de l’initiative publique[1]. Les résultats sont éloquents. La moitié des répartiteurs dégroupés et le tiers des lignes rendues éligibles au haut débit le sont grâce à l’initiative publique. Plus généralement, au plan national, on peut considérer qu’en 2006, 5,7 millions de lignes supplémentaires n’auraient pu accéder aux offres haut débit sans l’action publique.
L’autre objectif poursuivi est de stimuler la concurrence en permettant le positionnement d’opérateurs alternatifs en face de l’opérateur historique. Un effet notable des initiatives publiques aura été aussi de favoriser l’émergence de petits opérateurs locaux au côté des grands fournisseurs d’accès d’envergure nationale. En effet, dans une pure logique de marché, étrangère à toute préoccupation d’aménagement du territoire, les opérateurs du secteur privé se sont principalement installés dans les nœuds de réseau les plus importants. Il est intéressant de noter qu’en installant des équipements dans seulement 6 % des NRA (Nœuds de Raccordement d’Abonnés), on peut toucher à peu près 50 % du marché. L’initiative publique vise à raccorder les NRA de moindre capacité afin de favoriser l’offre vers les zones moins urbanisées. Fin 2006, on recense 1 789 répartiteurs, soit 15 % du total, ouverts à la concurrence, ce qui permet aux opérateurs alternatifs d’atteindre environ 60 % de la population. Pour les 85 % des répartiteurs restants et couvrant 40 % de la population, seul l’opérateur historique est en mesure de proposer une offre.
La résorption des zones blanches est l’autre objectif que se sont assignées les collectivités qui se sont impliquées dans la mise en place d’un réseau. L’accès au haut débit nécessite la mise en place d’équipements appelés DSLAM (DSL Access Multiplexers) dans les nœuds d’accès mais cela ne suffit pas, encore faut-il que la ligne raccordée sur ces équipements ne soit pas trop longue. Au-delà de 4-5 km, il est en effet techniquement impossible de proposer une offre haut débit. Ces zones dites blanches concernent encore aujourd’hui environ 4 % du pays. Elles sont majoritairement situées en territoire rural mais on peut aussi rencontrer des « poches blanches » en périphérie urbaine. Pour les foyers qui sont situés dans ces zones blanches, des solutions spécifiques doivent être envisagées et là encore le rôle moteur des collectivités est à souligner. Ces zones blanches se caractérisent par un trop grand éloignement des NRA, rendant impossible la plus modeste des offres d’accès Internet. Les solutions alternatives envisageables sont alors principalement le sans fil, WiFi et/ou WiMAX, mais aussi le CPL (Courants Porteurs en Ligne). La technologie CPL consiste à utiliser le réseau électrique en superposant le flux Internet au signal électrique. Les applications peuvent être de type Indoor (à l’intérieur d’un bâtiment) mais aussi Outdoor (accès extérieur à travers le transformateur électrique). Dans ce dernier cas, le signal est injecté au niveau du transformateur basse tension ce qui permet de desservir en mode partagé tout un ensemble d’habitations. Le WiFi peut être utilisé lui aussi sur un rayon de quelques centaines de mètres mais la présence d’obstacles sur le trajet des ondes conduit quelquefois à la présence de zones de mauvaise réception, pour lesquelles il peut être complexe de trouver des solutions.
Dans tous les cas, WiFi ou CPL demeurent des solutions très ponctuelles et il restera encore à résoudre le problème de relier ces zones avec le réseau dorsal (Backbone) des opérateurs. Si l’on veut éviter le recours aux liaisons louées très onéreuses, la solution WiMAX paraît être la plus prometteuse. Cette technologie permet le raccordement par voie radio sur des distances de plusieurs kilomètres, voire au-delà des dix, vingt kilomètres si les conditions de propagation sont favorables. Le WiMAX impose par contre de disposer d’une licence pour émettre dans la bande des 3,5 GHz.
Chaque région dispose désormais de trois licences, une licence nationale plus deux licences régionales. En juillet 2006, l’ARCEP a rendu son verdict. Quarante-huit licences régionales ont été adjugées. Deux pour chaque région métropolitaine, soit quarante-quatre plus quatre pour les départements d’outre-mer. Six régions (Alsace, Aquitaine, Bourgogne, Bretagne, Corse, Poitou-Charentes) se sont vues attribuer des licences. Pour le reste, trois opérateurs en sont les principaux bénéficiaires : treize licences vont à Maxtel constitué à parts égales de Altitude Telecom et de la SAPRR (Société des Autoroutes Paris-Rhin-Rhône). Bolloré Télécom détenu à 85 % par le groupe Bolloré emporte douze licences. HDRR, consortium dominé à 90 % par TDF, a obtenu dix licences. Tous les adjudicataires se sont engagés à un déploiement rapide et à la couverture des zones blanches. Au plan national, environ 3 000 sites devraient être couverts d’ici l’été 2008.
Parallèlement à ces attributions et afin de favoriser une utilisation optimale de la ressource spectrale, l’autorité de régulation a mis en place un marché secondaire des fréquences qui stipule l’obligation de cession des licences aux collectivités dès lors qu’elles ne sont pas utilisées. Ainsi, si une collectivité exprime un besoin de couverture sur un territoire, l’opérateur détenteur de la licence se voit contraint de se prononcer dans un délai de six mois pour répondre à cette demande. Soit il s’engage à assurer le service à l’échéance de deux années, soit il cède le droit d’utiliser sa licence à la collectivité demanderesse. Toujours dans le but d’accélérer l’aménagement numérique du territoire, un titulaire de licence qui ne respecterait pas le calendrier de déploiement fixé par contrat et sur lequel il se sera engagé, se verra contraint de céder son droit.
Ainsi en un peu plus de deux ans, les collectivités territoriales se sont imposées comme des acteurs incontournables du paysage numérique français. Grâce à elles, la réduction de la fracture numérique est en marche et la généralisation de l’accès haut débit à l’ensemble de la population entraînera à n’en pas douter l’émergence d’usages et de services dont il est bien hasardeux d’imaginer aujourd’hui l’ampleur et les conséquences sur les relations sociales.
[1] L’intervention des collectivités locales dans les télécommunications, ARCEP, 15 mars 2007 (www.arcep.fr).