Consolidations en cours dans le très concurrentiel marché français des fournisseurs d’accès Internet : alors que France Télécom sacrifie sa marque Wanadoo afin de regrouper l’ensemble de son offre sous le nom unique Orange, Neuf Cegetel achète AOL France à Time Warner en septembre, puis SFR s’offre les activités Internet et téléphonie fixe de Télé 2 France en octobre. En 2007, ce sera au tour de Club Internet de changer de main, Deutsche Telekom ayant décidé de le mettre en vente.
Certains experts envisagent même qu’il puisse à terme ne rester que trois acteurs importants sur ce marché, ce qui serait sans aucun doute dommageable au consommateur, comme on a pu s’en rendre compte avec d’autres marchés de télécommunications.
Signalons également l’arrivée dans ce secteur de Darty en septembre (offre Triple Play basée sur la Darty Box), ainsi que l’introduction en bourse réussie de Neuf Cegetel le 24 octobre 2006 (offre initiale souscrite 15 fois sur l’Eurolist Paris).
Triple Play : désormais le standard du marché
Les offres Triple Play (accès Internet haut débit, téléphonie et télévision sur IP) sont devenues le standard du marché. Les « boxes » deviennent compatibles TV Haute Définition et intègrent de plus en plus des disques durs afin de proposer des fonctions de magnétoscope numérique et de direct différé (Time Shifting). Sortie en juin 2006, en retard sur ses concurrents, la box de Club-Internet permet également d’accéder aux fonctions avancées de la plateforme Microsoft TV (changement instantané de chaîne, incrustation de plusieurs chaînes dans l’image, guide des programmes…). Les tarifs se stabilisent autour de 30 euros/mois.
La téléphonie sur IP s’envole (19 % du trafic des postes fixes fin 2006), essentiellement du fait des offres Triple Play dont l’usage a rattrapé celui de Skype. Suite à la décision de Free de surtaxer les appels sortant des Freebox vers les boxes des concurrents et au tollé qui s’en est suivi, l’ARCEP a finalement calmé le jeu en imposant des tarifs de terminaison d’appel entre boxes beaucoup moins élevés.
Les offres de télévision sur DSL s’enrichissent de nouvelles chaînes : TF1 et M6 deviennent enfin accessibles sur les boxes des FAI, en échange d’un feu vert gouvernemental concernant la fusion TPS/CanalSat. Les chaînes payantes et la vidéo à la demande (VoD) se développent également et deviennent pour les FAI un moyen d’augmenter l’ARPU dans un marché par ailleurs très concurrentiel.
Un amendement sur l’audiovisuel est signé fin décembre : en contrepartie de la TVA réduite à 5,5 % sur les services audiovisuels, les FAI qui proposent le Triple Play devront désormais participer au Compte de soutien à l’industrie des programmes audiovisuels (COSIP) géré par le CNC. D’abord réservé, l’Association des Fournisseurs d’Accès et de Services Internet (AFA) finit par accepter ce texte, alors que Free s’y oppose farouchement, critiquant un « nouvel impôt sur Internet ».
Parallèlement, les négociations continuent entre les fournisseurs d’accès et l’industrie cinématographique concernant la chronologie des médias : les FAI souhaiteraient que le délai de mise à disposition de la VoD après la sortie des films en salles soit réduit à 6 mois (comme pour la location de DVD), contre 33 semaines actuellement.
Quadruple Play : le nouveau terrain de jeu
Les offres Quadruple Play ajoutent aux offres Triple Play existantes une fonction de convergence fixe/mobile. Un téléphone hybride GSM/WiFi permet ainsi de téléphoner selon la technique la plus appropriée : en WiFi et voix sur IP depuis le domicile par le biais de la box du fournisseur d’accès, ou en GSM classique à l’extérieur. Selon les technologies, ces offres permettent ou non la bascule automatique (choix entre réseaux GSM et WiFi en fonction de la localisation) et le handover (passage d’une technique d’accès à l’autre en cours de communication).
BT fut incontestablement le précurseur en 2005 avec son offre « BT Fusion », basée sur la technologie Bluetooth. En France, Neuf Cegetel ouvre la danse en lançant en juin 2006 le service « Neuf Talk Mobile » (après avoir expérimenté la technologie sur le « Beautiful Phone »). Les terminaux (téléphones hybrides baptisés « Twin », ou smartphones) accèdent aux communications WiFi au moyen de la 9Box, mais aussi des hotspots publics du FAI (les gares SNCF entre autres) et de ses divers partenaires (le réseau WiFi communautaire FON, METEOR Networks, Ozone). La version 2 du Twin fonctionne même avec les box des FAI concurrents. Quant à l’accès GSM, il est indépendant de l’opérateur mobile choisi.
Orange réplique en octobre en lançant une offre concurrente baptisée « Unik ». Ce service, plus abouti techniquement (support de la bascule automatique et du handover, utilisation d’un numéro unique en 06), est cependant considéré comme un peu cher par les utilisateurs. Les accès WiFi sont établis au moyen de la Livebox du domicile dans un premier temps, puis sur les hotspots Orange. L’accès GSM reste limité à l’opérateur mobile Orange.
La Freebox HD permettait déjà d’utiliser des téléphones WiFi. Mais c’est en octobre que Free lance son offre Quadruple Play : le « Free Phone ». Une particularité est de pouvoir téléphoner en WiFi à proximité de n’importe quelle Freebox HD et pas seulement celle de son propre domicile.
D’autres FAI devraient sortir des offres de convergence courant 2007 : SFR et Bouygues Télécom, ainsi que Noos et Ten Mobile. Les fournisseurs d’accès qui ne sont pas eux-mêmes opérateurs mobiles doivent en effet s’associer avec de tels opérateurs pour construire leurs offres. Certains sont même tentés de franchir le pas : Neuf Cegetel est déjà devenu opérateur mobile virtuel (MVNO) et Free pourrait suivre.
La fibre : un enjeu national
Branle-bas de combat également dans le domaine de la fibre optique jusqu’à l’abonné (FTTH : Fiber To The Home). Cette fois c’est Free qui dégaine le premier, en annonçant en septembre un investissement de 1 milliard d’euros d’ici 2012, afin de proposer des offres d’accès symétriques à 50 Mbps au prix inchangé de 30 euros/mois. Iliad a par ailleurs acheté citéFibre en octobre (500 clients FTTH dans le 15e arrondissement).
France Télécom avait déjà décidé en début d’année d’abandonner la technologie VDSL2 basée sur la paire de cuivre au profit de la fibre optique. Un projet pilote a permis à 1 000 foyers (Paris et Hauts-de-Seine) de tester des accès à 100 Mbps. Mais il faudra attendre début 2007 pour que soit proposée une offre commerciale baptisée simplement « La fibre », en Île-de-France puis à Toulouse et Poitiers.
Neuf Cegetel était initialement le plus réservé sur un déploiement rapide de la fibre. Devant l’accélération du processus, il achètera finalement Mediafibre (opérateur FTTH à Pau) puis Erenis (à Paris), début 2007[1]
Le câblo-opérateur Noos Numéricâble annonce également une offre très haut débit, basée sur une technologie un peu différente (FTTB : Fiber To The Building) où le réseau interne aux immeubles utilise le câble coaxial déjà installé. Peut-être la dernière carte pour un acteur qui peine à trouver sa place devant l’omniprésence des opérateurs ADSL ?
Le déploiement de la fibre apparaît comme un véritable enjeu national de par son coût prévisionnel : l’IDATE estime en effet qu’un investissement de 40 milliards sera nécessaire (10 milliards pour couvrir les 40 % de la population visant dans les principales zones urbaines et 30 milliards pour les 60 % restants). L’ARCEP précise que les principaux postes de dépenses concernent le génie civil et le câblage interne des immeubles et plaide pour une mutualisation de ces infrastructures. La plupart des opérateurs semblent d’ailleurs sur la même longueur d’onde, en annonçant que leurs fibres seront ouvertes aux concurrents. Dans les discours tout du moins : à quelles conditions et à quel prix ? Les opérateurs auront certainement pour objectif principal de rentabiliser leur investissement, à l’image de Deutsche Telekom pour qui le Parlement allemand vient de créer une situation concurrentielle tout à fait privilégiée (au grand dam de la Commission Européenne qui prévoit de lancer une procédure d’infraction). En France, le ministre délégué à l’Industrie François Loos estimait en juin 2006 que France Télécom devrait garder un avantage concurrentiel analogue.
La fibre sera également au cœur de la fracture numérique dans les années qui viennent. À côté de Paris, où 80 % des immeubles pourront être fibrés d’ici 2010 grâce à des fourreaux accessibles à moindre coût dans les égouts haussmanniens et au projet « Paris Ville Numérique » de Bertrand Delanoë, à côté des Hauts-de-Seine qui viennent de lancer un appel d’offre visant à fibrer le département, combien de temps la fibre mettra-t-elle donc pour parvenir dans des communes moins riches ?
Le WiMAX : le haut débit à moindre coût ?
Le WiMAX (Worldwide Interoperability for Microwave Access) est une technologie de boucle locale radio qui permettrait à terme d’offrir des débits de plusieurs dizaines de mégabits/seconde sur des rayons de couverture de plusieurs dizaines de kilomètres. Elle permettrait ainsi de pallier les zones d’ombre ADSL, mais également de concurrencer les autres technologies d’accès dans les grandes villes.
Suite à l’appel à candidatures lancé par l’ARCEP, visant à attribuer 2 licences WiMAX par région française dans la bande de fréquence 3,5 GHz, plus de 175 acteurs s’étaient tout d’abord déclarés intéressés en octobre 2005. Après divers regroupements, il restait 35 candidats en février 2006. La procédure de sélection reposait sur différents critères : la contribution au développement du haut débit, la concurrence sur le haut débit et le montant financier proposé par les acteurs (système d’enchères très critiqué par les collectivités locales, qui proposeront finalement 1 euro symbolique).
L’ARCEP a attribué en juillet 2006 des licences régionales à 15 acteurs, dont 6 Conseils régionaux. On trouve parmi ceux-ci plusieurs consortiums :
– Maxtel : Autoroutes Paris Rhin Rhône et Jean-Pierre Rivière, ancien patron d’Altitude Télécom.
– Bolloré Télécom : Bolloré et ADP.
– HDRR : TDF, Axione (Bouygues), LD Collectivités (Neuf Cegetel) et Naxos (RATP).
– Société du Haut Débit (SHD) : Neuf Cegetel, SFR et Canal Plus.
France Télécom n’obtient de licence que pour la Guyane et Mayotte. Outre ces licences régionales nouvellement attribuées, Iliad possède déjà une licence nationale depuis le rachat d’Altitude en 2005, via sa filiale IFW.
Les premiers sites WiMAX commencent à apparaître : en Île-de-France (SHD en décembre 2006), puis dans le Loiret (HDRR en janvier 2007). Des expérimentations d’antennes sur des lampadaires et les pylônes de RTE ont également lieu. De nombreux équipementiers ont déjà investi ce marché, comme l’a montré le congrès 3GSM début 2007 (Alcatel-Lucent, Intel, Motorola, Nokia, Nortel, Samsung). Du fait de son coût encore élevé, cette technologie devrait concerner essentiellement les entreprises en 2007. Une offre de masse pour les particuliers, ainsi que des offres de WiMAX nomade, pourraient apparaître en 2008.
Relations entre FAI et gouvernement : des hauts et des bas…
L’un des points de discorde entre les FAI et le gouvernement concerne le coût des services d’assistance téléphonique (hotlines). L’UFC-Que Choisir avait déjà demandé fin 2005 la gratuité des temps d’attente sur les hotlines et le ministre délégué à l’Industrie, François Loos, souhaitait l’obtenir par négociation pour fin 2006. Une majorité de FAI ont alors proposé spontanément des compensations, telles que la gratuité complète de leurs hotlines ou des crédits de communication (Alice, Club Internet, Orange, SFR, Télé 2). Pour les réfractaires, le ministre de l’Industrie a décidé d’inscrire cette mesure dans le projet de loi sur la consommation, validé en Conseil des ministres en novembre 2006. Prévu pour début 2007, le vote de cette loi n’aura finalement pas lieu pour cause de calendrier parlementaire surchargé… Malgré tout, la DGCCRF (Direction de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes) a entamé début 2007 une série d’auditions des FAI, dans le but de contrôler les engagements pris avec le ministère (lisibilité des publicités, conditions de résiliation des contrats, etc.).
Dans le domaine de la sécurité, un décret de mars 2006 a fixé à un an la durée de conservation des données de connexion par les FAI, au milieu de la fourchette de 6 mois à 2 ans recommandée par l’Union Européenne. L’AFA a ensuite déposé un recours devant le Conseil d’État pour manque de concertation, mais aussi parce que le remboursement à l’acte des réquisitions ne couvre pas les investissements nécessaires pour mettre en œuvre cette mesure. Aux États-Unis, l’administration Bush souhaite porter ce même délai de conservation de 6 mois actuellement à 2 ans.
Un point d’accord à noter tout de même entre les FAI et le gouvernement : un logiciel de contrôle parental est désormais fourni automatiquement et sans surcoût à tout nouvel abonné Internet, suite à un accord signé fin 2005 entre l’AFA et le ministre délégué à la Famille, Philippe Bas. Basés sur des listes noires de sites indésirables, ces logiciels sont testés régulièrement par l’association E-enfance.
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Statistiques fin 2006
– 12,7 millions d’abonnements Internet haut débit, dont 12 millions d’abonnements ADSL.
– 18 % de taux de pénétration du haut débit en France (15 % en moyenne européenne).
– 4 millions d’accès dégroupés, contre 3 millions un an plus tôt.
– Le dégroupage total dépasse désormais le dégroupage partiel : 53 % en dégroupage total, contre 21 % un an plus tôt.
– 60 % de la population éligible au dégroupage.
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[1] Les dates d’acquisition de Mediafibre et d’Erenis sont respectivement janvier 2007 et avril 2007.