On estime aujourd’hui à 500 millions le nombre de personnes handicapées dans le monde : une personne sur dix souffre d’une infirmité physique, mentale ou sensorielle et plus de 25 % de la population mondiale en subissent les conséquences. Les aides techniques ou humaines permettent de compenser leurs restrictions physiques ou fonctionnelles et d’améliorer de manière significative leurs conditions de vie, mais de nombreux progrès sont encore attendus…
Les Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) peuvent-elles « venir au secours » de ces personnes ? Ces technologies compensent-elles, d’une certaine manière, leur handicap et améliorent-elles leur intégration sociale et économique au sein de la société ? Nous nous intéresserons plus particulièrement à l’apport de deux grandes technologies : Internet et les mobiles.
Qu’est-ce que le handicap ?
Le handicap est la conséquence d’une incapacité (déficit au niveau des performances fonctionnelles) qui rend difficile l’accomplissement des rôles attendus dans la société. Il s’agit d’une discordance entre les performances de l’individu (ses capacités) et les attentes du milieu. On considère donc comme handicapées les personnes qui, suite à une atteinte de leurs fonctions physiques, psychiques ou intellectuelles, voient leurs activités quotidiennes et/ou leur participation à la vie sociale se restreindre, voire disparaître. La notion de handicap ne concerne donc pas seulement l’individu mais la société entière.
Philip Wood introduit, en 1980, une clarification conceptuelle dans la définition du handicap à l’initiative de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Ses travaux constituent le fondement de la Classification Internationale des Handicaps (CIH), adoptée par la France en 1988 comme référence des nomenclatures statistiques sur le handicap. Toutefois, en mai 2000, cette classification fut remplacée par une nouvelle classification (CIF, Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé), fondée sur une approche fonctionnelle du handicap qui prend en compte les facteurs socio-environnementaux. Dès lors, l’environnement est considéré comme source de situations handicapantes.
Le terme de handicap est défini selon trois dimensions[1] :
– La déficience est une perte de substance ou l’altération d’une structure ou fonction (psychologique, physiologique ou anatomique). Elle correspond, par exemple, à une amputation, à une lésion de la moelle ou à la dégénérescence d’un nerf, et/ou au déficit en résultant (paraplégie, ankylose, aphasie, surdité, incontinence urinaire, etc.).
– L’incapacité correspond à toute réduction (partielle ou totale) de la capacité d’accomplir une activité de façon normale ou dans les limites considérées comme normales. C’est, par exemple, l’incapacité de marcher, de s’accroupir, de fermer le poing. Cela concerne également l’impossibilité d’exécuter une action : se lever, se laver, s’habiller, communiquer, mémoriser, réfléchir, etc.
– Les désavantages ou handicaps (conséquence des déficiences ou des incapacités) représentent une limitation ou une interdiction d’accomplissement d’un rôle social normal (en rapport avec l’âge, le sexe, les facteurs sociaux et culturels) : faire des études, occuper un emploi, avoir des loisirs, etc.
Figure 1 : Schéma conceptuel de Wood (1980), Classification Internationale des Handicaps (CIH)
Concrètement, les déficiences concernent une ou plusieurs fonctions. Elles sont classées selon 6 catégories : intellectuelles, psychiques, motrices, visuelles, auditives, viscérales et générales.
Les TIC peuvent-elles apporter une réponse aux grandes problématiques de l’intégration sociale des personnes handicapées ?
Nous avons, en France, une législation[2] relativement complète pour l’intégration des personnes handicapées dans notre société. Le système de prise en charge est à la fois différencié et généralisé. Cette législation fait d’ailleurs, depuis plusieurs années, l’objet d’une révision prenant en compte les évolutions internationales en matière de non-discrimination et d’égalité des chances.
« Tout le monde s’accorde à dire que les personnes handicapées ont droit à l’égalité des chances. Comme tous les autres citoyens, elles réclament le droit de vivre de manière autonome et d’opérer leurs propres choix. Toutefois, si dans les textes, les personnes handicapées ont les mêmes droits fondamentaux que les autres citoyens, la réalité est tout autre. L’organisation de nos sociétés les empêche souvent de jouir de l’ensemble de ces droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels. »[3]
Quotidiennement, les personnes handicapées sont confrontées à de nombreux types d’obstacles qui les empêchent de participer pleinement à la société. Ces obstacles, liés à un environnement, à des comportements ou à des facteurs sociaux, juridiques, communicationnels ou financiers, varient fortement d’un groupe de personnes handicapées à l’autre. Par exemple, pour les personnes sourdes ou malentendantes, qui utilisent la langue des signes comme première langue, la non-reconnaissance de cette dernière en tant que langue officielle est à l’origine de graves obstacles sur le terrain de la communication. D’autre part, les personnes handicapées sont généralement confrontées à l’inaccessibilité des bâtiments, des lieux et des réseaux de transport publics. Par ailleurs, les écoles sont souvent inadaptées à l’accueil d’enfants handicapés, faute de structures de soutien. Enfin, l’accès à l’information, aux services publics et aux sites Internet publics et privés, leur est encore difficile, malgré les recommandations du WAI (Web Acessibility Initiative) du W3C[4].
L’intégration des personnes handicapées est un « challenge collectif », mais cette intégration ne sera totale qu’après la disparition des logos « handicapés » et la création d’équipements pour tous (personnes handicapées ou non) : chambres d’hôtels, universités, cinémas, aéroports, cabines téléphoniques, bus, métros, trains, etc.[5] Dans le cadre de la création de nouveaux bâtiments, il est certainement moins coûteux de construire en amont que de réparer en aval. Lors d’appels d’offre publics, les cahiers des charges pourraient ainsi inclure la prise en compte de l’accessibilité pour tous (sur le modèle des conventions « chantiers propres » déjà utilisées pour veiller à la bonne tenue des chantiers de travaux sur le domaine public).
Les personnes handicapées ne doivent pas se résoudre à vivre enfermées et isolées dans leur lieu de vie. Elles ont certes besoin d’aide pour réaliser certains actes de la vie quotidienne, qui passent inaperçus pour les personnes dites valides, car le handicap est un révélateur ou un amplificateur des difficultés de la vie courante. Les nouvelles technologies contribuent à l’amélioration de leur qualité de vie et celle de leurs aidants, dans des contextes socioculturels personnels et professionnels variés (travail, éducation, transports en communs, lieux publics, loisirs, etc.). Le développement de services et de technologies adaptés à leurs besoins spécifiques permet de réduire une partie de leurs dépendances et d’améliorer leur autonomie.
Internet et les mobiles « au secours » des personnes handicapées ?
On estime que 52 % des personnes handicapées ont un niveau de formation faible. Leur taux de chômage est deux fois plus élevé que la moyenne nationale. Les apports d’Internet et des terminaux mobiles, en termes de formation et de travail, pourraient certainement contribuer à la diminution de ces chiffres.
Le premier problème à résoudre pour les personnes handicapées est celui de l’accessibilité au terminal. Ce problème est en partie résolu puisque de nombreux systèmes ou logiciels permettent une accessibilité à peu près satisfaisante pour certains handicaps. Lorsque l’apprenant peut bénéficier de ce premier accès, des solutions permettent aujourd’hui d’accéder à une scolarité et à un apprentissage via des applications d’e-Learning, au travers d’un parcours plus « personnalisé ». Le cyber travail fait ainsi entrer l’emploi à domicile. Le contrôle de l’environnement dans un habitat intelligent assure alors une certaine autonomie à l’intérieur du lieu de vie.
L’enseignement à distance
En termes d’e-Learning, les universités virtuelles et les campus électroniques n’ont malheureusement pas été pensés ni réalisés en intégrant la problématique des personnes handicapées. Internet peut apporter deux grands types d’aide : le premier met à disposition des compléments de cours pour renforcer le présentiel ; le second permet de suivre des formations complètes à distance. Un certain nombre d’entreprises ou d’institutions ont développé des formations à destination des personnes handicapées. Mais force est de constater qu’elles ne sont accessibles qu’à une petite partie de la cible. L’accès se fait le plus souvent au travers d’une interface Web classique, avec inscription préalable et saisie de login et mot de passe. Nous présenterons ici deux exemples :
– Dans le cadre du programme Européen eQuator, une formation complète professionnelle et de promotion agricole (CFPPA) de Roanne a créé, en septembre 2004, le CAP agroalimentaire pour les personnes handicapées qui repose, en partie, sur le e-Learning. Un CAP en horticulture est également à l’étude. D’autre part, depuis septembre 2006, les jeunes handicapés résidant en Île-de-France, qui souhaitent préparer l’un des six BTS en secteur tertiaire, peuvent accéder à une formation en alternance et à distance, avec un rythme et une durée de formation individuels. Cette formation conçue par le CNED, le CFA – Sacef (Centre de Formation et d’Apprentissage en alternance) et IBM, est basée sur un volume annuel de formation de 750 heures, dont 500 heures à distance et au minimum 200 heures avec un accompagnement[6].
– L’Institut Garches[7] a également créé des modules de formation à distance, via Internet, autour des filières enseignées à l’Institut dans le cadre d’un stage Multimédia/Internet. Ce projet doit permettre à chaque personne handicapée (avec une intégration dans les modules du handicap sensoriel) de se former en toute autonomie et à son rythme à l’utilisation de logiciels informatiques divers (internet, photo, son, image animée, etc.). En collaboration avec d’autres centres de formation spécialisés, l’institut développe des modules tests pour l’obtention d’un diplôme BTS. Un accord d’entreprise, signé chez THALES, qui vise à promouvoir la recherche technologique au bénéfice des personnes handicapées, a permis de proposer les premiers modules tests de formation à partir de mai 2005.
Le cyber-travail
Si le cyber-travail apporte une solution intéressante de travail à domicile pour les personnes handicapées, il entraîne également de nombreuses contraintes : le temps de travail n’est pas ou peu défini, il s’effectue davantage à la tâche (ce qui peut poser des difficultés d’estimation du temps passé effectivement sur une réalisation), il imbrique vie privée et vie professionnelle et surtout il ne rompt pas l’isolement « social » de la personne handicapée. De nombreuses actions gouvernementales ou associatives (UIT, UNESCO, etc.) tentent de promouvoir de nouvelles méthodes d’organisation du travail et de l’activité économique. Elles souhaitent ainsi favoriser le télétravail pour permettre à tous les citoyens de travailler partout dans le monde sans quitter leur communauté et pour ouvrir aux personnes handicapées de nouveaux débouchés professionnels. Depuis le 1er janvier 2006, date de son entrée en application en France, la loi handicap[8] donne un nouvel élan à l’emploi des personnes handicapées. Quelques entreprises et sites de recrutement[9] leur proposent des emplois, mais les initiatives sont encore trop rares, hélas !
L’habitat intelligent
Le contrôle de l’environnement, via un habitat intelligent a permis à une entreprise japonaise (SGI Japon) de construire une chambre originale baptisée « RoomRender »[10] (avec les travaux de GS Yuasa et de l’Université de Tokyo). Le contrôle de tous les appareils électroniques de la maison (y compris le magnétoscope) est ainsi assuré par réaction, non seulement à la voix de l’utilisateur, mais également à l’émotion dégagée par cette voix.
La pièce inclut ainsi un mur pouvant prendre diverses couleurs en fonction de l’humeur des habitants et possède également un diffuseur d’odeurs s’adaptant au « climat mental » ressenti. Cet environnement se base sur un moteur de reconnaissance d’émotion (Technologie de sensibilité et de l’émotion) utilisant une nouvelle technologie logicielle (AGI) qui permet de reconnaître et de répondre aux émotions humaines ressenties (joie, calme, colère, excitation). Mais le coût élevé de cette pièce (entre 30 000 et 40 000 Euros) ne permet, pour l’instant, que de l’envisager dans des lieux spécifiques : salles de réunion d’entreprises, hôtels ou hôpitaux.
Figure 2 : RoomRender (Source : http://www.sgi.co.jp/robot/roomrender/)
De son côté, l’association MEDeTIC a lancé, mi-2006, son projet « Vill’Âge »[11], dans le cadre d’un projet européen ITEA-Nuadu. Ce projet implante, au cœur d’une commune, une résidence pour des personnes âgées encore autonomes, afin de favoriser et maintenir leur autonomie et leur intégration. Des « maîtresses de maison » seront à disposition des habitants pour assurer l’animation et une assistance d’urgence. Les logements seront équipés de capteurs médicaux qui transmettront, à distance, des paramètres de santé (tension, poids, glycémie, fréquence cardiaque, etc.). Les habitants, surtout les malades chroniques, seront ainsi en permanence sous surveillance médicale. Un fauteuil « intelligent », dont les accoudoirs peuvent transmettre des dizaines de données médicales, pourrait compléter le dispositif (brevet déposé).
Figure 3 : Vill’Âge, l’habitat et le fauteuil intelligent (Source : http://www.formaticsante.com/site/fichiers/pages_html/Projet%20Geri@TIC.pdf)
Il est impossible de passer sous silence un compagnon pour tous : le petit lapin communicant Nabaztag/tag (de la société Violet[12]) qui, depuis décembre 2006, diffuse des informations (flashs d’infos parlées, webradios, podcasts…), parle (via un système de synthèse vocale), lit n’importe quelle page web, blog ou e-mail reçu, transmet des messages à d’autres Nabaztag via le réseau WiFi incorporé à ses oreilles et identifie les objets équipés d’étiquettes RFID.
Une aide pour les personnes isolées et un objet original communicant pour tous ?
Figure 4 : Le deuxième lapin communicant (Autorisation J-F. K., Société Violet)
Concernant la téléphonie mobile, les constructeurs et opérateurs s’engagent petit à petit à rendre accessibles leurs terminaux et services. Créée en 2002, l’AFOM (Association Française des Opérateurs Mobiles) s’est engagée en 2005, avec les opérateurs de téléphonie mobile et le Secrétariat d’État aux Personnes Handicapées, à rendre le téléphone mobile accessible au plus grand nombre, au travers d’une « Charte d’engagements pour faciliter l’accès des personnes handicapées à la téléphonie mobile ». Ainsi, chaque opérateur sélectionne (et développe) dans sa gamme des produits destinés à favoriser l’autonomie des personnes handicapées. Des pictogrammes identifient les spécificités de chaque produit, pour les utilisateurs potentiels et leurs proches, selon trois niveaux de critères : primordiaux, de confort et d’évolution.[13]
Figure 5 : Logos des services adaptés à certains handicaps (Source : http://www.afom.fr)
Les principales fonctions offertes aux personnes handicapées sont les suivantes : vibreur, WAP, écriture intuitive de SMS, identification de l’appelant par sa photo, compatibilité avec un appareil auditif, appareil photo intégré, caméra vidéo intégrée, synchronisation avec l’ordinateur, compatibilité BluetoothTM, kit piéton stéréo, reconnaissance vocale, main libre, touches programmables, SMS préenregistrés.
Certains opérateurs proposent des services plus spécifiques. Le service Motamo[14], par exemple, destiné à des personnes déficientes de l’ouïe et de la parole, propose des types d’échanges multimédias (SMS, MMS, Voix/Visio) et un système de MMS en langue des signes.
Figure 6 : MMS téléchargeable (Source : http://mobile.orange.fr/0/visiteur/)
D’autres opérateurs ont lancé, gratuitement, un logiciel baptisé « Mobile Speak » (SFR, Bouygues Télécom en partenariat avec Handicapzéro[15]). Il garantit l’accès à toutes les fonctions du téléphone mobile d’aujourd’hui. Les menus et fonctions du téléphone sont restitués en mode vocal : du répertoire, en passant par les textos et jusqu’à l’accès à Internet. La synthèse vocale, de très bonne qualité, est développée par le groupe Acapela. Malheureusement, « Mobile Speak » n’est compatible qu’avec certains mobiles…
Malgré ces avancées, il semble qu’il reste encore beaucoup à faire. « Les associations sont satisfaites », précise-t-on à la DIPH[16]. « Mais nous demandons à ce que cela continue, car il y a des évolutions technologiques. Il n’y a par exemple pas d’appareil ni de logiciel pour le handicap mental ». Ce dernier recouvre une très grande diversité de cas et peut toucher aussi bien des personnes valides que totalement dépendantes. La situation est donc plus difficile à appréhender.
Pour conclure…
Au travers de ces quelques exemples, les TIC apparaissent comme une véritable opportunité d’accès à l’information, à la culture, aux différents services publics, voire même comme un moyen d’expression et de visibilité pour les personnes handicapées.
Malgré les progrès déjà réalisés, l’accessibilité et la formation aux TIC restent des enjeux majeurs pour favoriser davantage l’intégration socioprofessionnelle des personnes handicapées. La prise de conscience est collective, au travers de diverses manifestations, comme la Journée internationale des personnes handicapées qui s’est déroulée le 4 décembre 2006 sur le thème de l’amélioration de l’accès des personnes handicapées à Internet et aux autres TIC.
« L’accès aux TIC ouvre des perspectives à l’ensemble de la population, et peut-être plus encore aux personnes handicapées », a déclaré le Secrétaire général de l’ONU fin 2006. « Avec le développement de l’Internet, les préjugés et l’infrastructure qui entravent leur participation n’ont plus lieu d’être »[17].
Article co-écrit par Chantal VALLET, Olivier MEULLE, Farah ARAB & Kheira BEKARA
(Laboratoire HANDICOM, INT)
[1] Les déficiences motrices d’origine accidentelle, Vanessa Bellamy et Christine de Peretti, DREES N° 417, juillet 2005, http://www.sante.gouv.fr/drees/etude-resultat/er417/er417.pdf
[3] Avis du comité économique et social sur « l’intégration des personnes handicapées dans la société », P. Venturi, G. Frerichs, 17 juillet 2002, Bruxelles.
[5] Le manifeste des citoyens handicapés, article publié dans le journal Handicap et communication, J-C. Parisot, 1995, http://www.cdh-politique.org/
[9] Par exemple : http://www.cadremploi.fr/
[16] Délégation Interministérielle aux Personnes Handicapées.
Une réponse à “Les TIC au service du Handicap”
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