Les TICE en 2006


Certains mots ou acronymes reviennent souvent dans les articles de presse, les actes de colloques ou sur les pages Web : ENT (Environnements Numériques de Travail), UNT ou UNR (Universités Numériques Thématiques ou Régionales), ballado-diffusion, mLearning, e-portfolio… Ce texte passe en revue ces différents mots-clés du domaine des TICE – Technologies de l’Information et de la Communication pour l’Enseignement – pour ces dernières années, et plus particulièrement pour l’année 2006.

Les environnements numériques de travail

L’ENT fait couler beaucoup d’encre, sans doute parce qu’il touche à l’environnement de travail de tout un chacun dans l’enseignement – aussi bien élèves, étudiants, enseignants qu’administratifs et parents d’élèves. Il désigne en effet l’interface de communication avec tous les outils et services numériques utiles.

Il y a tout d’abord une question de terminologie qui n’est peut-être pas encore stabilisée : en France on a d’abord appelé ENT l’environnement puis l’espace numérique de travail ; et sans nous surprendre, nos cousins canadiens l’ont appelé ENA. Voici un extrait du site Web www.profetic.org : « Un des changements auxquels l’enseignement universitaire a été confronté au cours des dernières années concerne l’émergence et la prolifération de l’utilisation de plusieurs applications et logiciels informatiques au service de l’enseignement et de l’apprentissage. Parmi ces applications, qui sont maintenant regroupées sous le vocable d’environnements numériques d’apprentissage (ENA), on retrouve d’une part les plateformes de gestion de cours et de gestion de contenu (p.ex. WebCT, FirstClass, Learning Space, Claroline), et d’autre part les logiciels outils (outils d’évaluation, éditeurs Web, outils de production multimédia, etc.) »[1].

En France le ministère de l’Éducation (SDTICE) s’est largement engagé dans ce sujet en lançant un appel d’offres après rédaction d’un schéma directeur (SDET), puis en choisissant des outils dont la mise en place est préconisée dans les établissements d’enseignement ; les quatre ENT retenus pour le supérieur sont : Encora, Eppun, Esup-Portail et Montecristo[2]. Concernant la solution Esup-Portail, il faut noter que cette solution s’appuie sur des logiciels libres et est en cours d’installation actuellement sur 30 sites universitaires. Son acronyme signifie « environnement numérique de travail assurant l’accès aux services pour les étudiants et les personnels de l’enseignement supérieur ». La phase d’intégration d’un ENT est associée à une réflexion sur l’organisation de l’établissement et de ses formations et s’appuie obligatoirement sur le système d’information de cet établissement.

D’octobre 2005 à juin 2006, 19 acteurs de terrain engagés dans des projets d’« Espaces numériques de travail » (ENT) en éducation ont rendu compte de leur expérience sur le bloc-notes des espaces ENT dans l’éducation[3]. Des points importants ressortent comme « l’ENT c’est enfin un moyen de connaître rapidement ses notes » ou « le cahier de textes est au centre des ENT ». Nous pouvons citer François Bocquet : « Chacun a son propre environnement numérique et il ne peut y avoir un environnement unique, ni pour toute une académie, ni même pour tout un établissement. Au mieux, on peut penser que des solutions techniques sont mutualisées pour permettre à chacun de se construire et de s’approprier son propre environnement numérique. » Serge Pouts Lajus ajoute : « L’un des objectifs principaux de l’ENT est lié à ce que l’on peut appeler la “continuité pédagogique”, c’est-à-dire, le maintien de la relation pédagogique au-delà du temps et de l’espace de la classe. Traditionnellement incarné dans les supports de cours (cahier de classe, manuel, polycopié), ce lien est enrichi, grâce à l’ENT, par des ressources en ligne accessibles au domicile ou dans des espaces publics de travail, dans l’établissement ou en dehors, mais aussi grâce aux moyens de communication interpersonnels (mails, chats, forums). »

Les plateformes et outils pour accompagner l’enseignement

Au début de cet article nous avons présenté la notion d’ENT, au cœur du déploiement des TICE, qui permet à chacun d’accéder aux services dont il a besoin pour enseigner, gérer ou apprendre. Des outils se cachent derrière chacune des prises du tableau de bord ENT, par exemple les plateformes d’enseignement qui vont permettre de suivre des formations.

Le site THOT[4] en recense toujours un grand nombre et chacun a pu depuis 5 ou 6 ans y faire son marché et tenter des expérimentations. Aujourd’hui nous pouvons distinguer deux types de choix : ceux qui ont suffisamment d’argent (comprendre : les établissements où la stratégie TICE a pesé dans la répartition des budgets) et qui peuvent déployer des solutions propriétaires comme Blackboard d’une part ; et ceux qui ont moins de moyens et/ou des convictions bien établies sur le modèle des logiciels libres et qui se tournent vers des solutions tout à fait pérennes et fiables d’autre part. En 2006, une telle plateforme a connu une expansion forte au niveau de la France, mais aussi au niveau mondial, puisque c’est un logiciel international dont l’interface peut s’afficher en 75 langues : il s’agit de MoodleModular Object-Oriented Dynamic Learning Environment (voir encadré).

L’événement de l’année pour les plateformes propriétaires a eu lieu en février 2006. Présenté comme la « combinaison de l’excellence », Blackboard, comme cela avait été annoncé, a acheté WebCT pour $178 millions. À elles deux, elles possèdent 3 700 « clients » ou institutions d’enseignement de par le monde. Mais Blackboard a jeté un pavé dans la mare en brevetant aux États-Unis et dans plusieurs autres pays 44 fonctionnalités qui sont plus au moins présentes dans toutes les plateformes. Elle a également porté plainte contre Desire2Learn, un concurrent canadien, pour violation de brevet. L’action de Blackboard a été condamnée sans ambages par la communauté d’enseignement qui, au-delà du débat sur la brevetabilité du logiciel qui divise l’Europe et les États-Unis, voyait dans le comportement de Blackboard une menace potentielle à l’utilisation des solutions basées sur les logiciels libres. En conséquence la décision américaine concernant ce brevet va être examinée à nouveau à la demande de la société Desire2Learn et du Software Freedom Law Center (SFLC) qui représente Sakai Foundation, Moodle et ATutor[5].

Concernant l’accès aux ressources d’enseignement quelles qu’elles soient, les terminaux ont évolué en suivant la poussée technologique des téléphones portables : le mot « mLearning » pour Mobile Learning apparaît dans les conférences internationales et la ballado-diffusion est en 1e page de la presse. Autant le fait d’écouter (ou de réécouter) un cours sur son baladeur préféré paraît présenter un intérêt, autant la consultation de ressources de type « pages Web », s’il s’agit de lire des documents sur un écran de 5 x 5 cm, semble incongrue. Il est toujours possible de prévoir une version « spéciale petit écran » de toutes les pages Web, mais a-t-on vraiment envisagé le coût de l’opération ?

L’opération « Micro-portable étudiant » (MIPE), lancée le 28 septembre 2004, proposait à chaque étudiant d’acheter à crédit, pour le prix « d’un café par jour », un ordinateur portable équipé d’une carte Wi-Fi. Deux ans plus tard et 450 000 ordinateurs vendus, l’opération a été un plein succès. En septembre 2006, le gouvernement annonçait que désormais la France est devenue le numéro 1 mondial pour la couverture sans fil des campus, avec plus de 4 000 bornes Wi-Fi installées et 35 % des étudiants équipés en micro-portables. L’opération MIPE 3, débutant en octobre 2006, avait pour objectif d’atteindre les 45 % d’étudiants équipés avant juillet 2007[6].

Les universités numériques

Après avoir été à distance ou virtuelles, les universités sont maintenant numériques : regroupent les services et contenus disponibles via l’Internet pour l’enseignement.

La France a créé les UNR et les UNT dont nous proposons une définition ci-dessous. Le site Web « Educnet »[7] nous dit : « Les Universités numériques en région (UNR) participent à l’aménagement numérique du territoire » en concertation avec tous les acteurs régionaux et locaux. Elles ont donc la charge d’installer les infrastructures utiles et aussi les services à travers le choix d’un ENT (voir § ci-dessus).

Pour ce qui est des UNT (Universités numériques thématiques), il s’agit de portails de contenus regroupés selon les domaines. La première UNT ouverte en ligne a été l’UMVF (Université médicale virtuelle francophone), la seconde UNIT (Université numérique ingénierie et technologies, c’est-à-dire le portail de contenus pour les sciences de l’ingénieur). En 2006, quatre autres UNT sont nées : AUNEGE (économie gestion), UNJF (sciences juridiques et politiques), UVED (environnement et développement durable) et UOH (sciences humaines, langues et cultures) ; une septième UNT est en voie de création en sciences fondamentales, l’UEL.

Les grandes écoles ne sont pas en reste puisque ParisTech a ouvert, sur le modèle du MIT, le portail de contenus Libres Savoirs. Au printemps 2006, le GET (Groupe des écoles des télécommunications) a publié son portail de contenus libres, GET Savoirs Partagés, qui présente une cinquantaine de sites pédagogiques liés aux enseignements du groupe.

Etat des lieux

Un état des lieux a été établi dans le projet européen « e-lue » (eLearning and University Education). Les résultats ont été publiés dans « Les universités européennes à l’heure du eLearning » (enquête effectuée sur la Finlande, l’Italie et la France).

Il en ressort que les universités ont franchi une étape de modernisation importante en intégrant une certaine culture du numérique et en proposant des services utiles aux étudiants. Il est clair que l’Europe du Nord y consacre plus de moyens que l’Europe du Sud, et la France se situe dans un juste milieu. Parmi les différents comparatifs, on peut retenir celui sur les usages des TICE. Ils se répartissent ainsi en Finlande : 10 % en enseignement traditionnel, 10 % en enseignement à distance, 20 % en enseignement mixte et 60 % en enseignement agrémenté par les TICE. En France 56 % reste de l’enseignement traditionnel, 42 % de l’enseignement agrémenté par les TICE, distance et mixte se partageant 1 % chacun. Pour l’Italie, 80 % de l’enseignement reste traditionnel.

Questionnements, réflexions et travaux actuels

Pour la mise en place d’usages plus avancés des TICE, des questions subsistent encore et ont trouvé des réponses partielles ou font l’objet d’expérimentations et de travaux en commun (inter UNT par exemple).

Questions relatives au droit d’usage des ressources en ligne

Nous ne pouvons que fortement recommander aux enseignants de se positionner clairement sur ce sujet lorsqu’ils publient des ressources sur Internet et d’y associer une licence d’usage. Les choix de publication de ressources libres peuvent être effectués parmi les licences du type Creative Commons ou FDL (GNU Free Documentation Licence) ; certaines écoles proposent des licences adaptées pour leur contexte d’enseignement, comme les licences du portail GET Savoirs Partagés.

Questions relatives à l’interopérabilité

Pour décrire une ressource pédagogique, des standards existent et permettent ainsi d’échanger facilement cette ressource entre outils ou portails. Cependant ces standards, qui tendent à devenir des normes, ne s’appuient pas tous sur le même descriptif et n’ont pas tous vocation à supporter le contexte pédagogique. De multiples tentatives d’application de la norme LOM (Learning Object Metadata) ont vu le jour pour décrire des ressources pédagogiques ; la France tente actuellement d’unifier les propositions à travers un profil d’application : « LOM-fr ». Les travaux de l’AFNOR ont servi dans le groupe de travail d’UNIT, qui a défini le schéma pivot (les métadonnées) puis a rejoint la proposition d’application « LOM-fr ». Ce socle commun est maintenant à l’étude par un groupe inter-UNT. Il faut aussi avoir à l’œil les travaux des Norvégiens pour décrire l’offre de formation, CDM (Course Description Metadata), puisque l’Europe tente d’en faire une norme.

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Événements TICE en 2006

* Février 2006 : l’INT a organisé un « petit-déjeuner » de l’association AURIF sur le thème des ENT. Pour en savoir plus : http://www.aurif.fr/pttdej.shtml

* Mai 2006 : colloque ePrep réunissant la communauté des professeurs de classes préparatoires sur le thème « Les technologies de l’information et de la communication au service du rayonnement et du développement des classes préparatoires aux grandes écoles et des formations équivalentes ». Pour en savoir plus : http://www.eprep.org/Colloque_ePrep2006/Synthese06.htm

* Mai 2006 : colloque CIUEN (Colloque International Université à l’Ère du Numérique) à La Villette. Ce colloque a réuni quasiment toutes les personnes impliquées dans des actions autour des TICE en France et a accueilli des partenaires internationaux. Il a été organisé par l’UMVF sous la houlette du professeur Benamou. Il a fait la place à des conférences mais aussi à des ateliers présentant des projets spécifiques ou des travaux communs aux UNT. Pour en savoir plus : http://www.canal-u.fr/ciuen/

* Juin 2006 : MoodleMoot, rassemblement de la communauté Moodle francophone à l’ENST Bretagne.

* Juin 2006 : le réseau d’excellence PROLEARN a ouvert sa première école d’été à une quarantaine de doctorants venus de toute l’Europe[8].

* Octobre 2006 : colloque TICE 2006 à Toulouse. Il s’agit DU colloque francophone sur les activités de recherche et d’expérimentations avec les TICE qui a lieu tous les 2 ans depuis 1998 (NTICF 1998 à l’INSA de Rouen, TICE 2000 à l’UTT, TICE 2002 à l’INSA de Lyon, TICE 2004 à l’UTC). En 2006 les INP (Instituts Nationaux Polytechniques) ont pris le rôle d’organisateurs. En 2008, le GET sera l’organisateur à Paris des 10 ans du colloque. Pour en savoir plus : http://inpact.inp-toulouse.fr/TICE2006/
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2006 : l’année Moodle ?

Avec un pas de géant, Moodle, plateforme d’apprentissage numérique d’origine Open Source, est devenue l’outil de prédilection dans l’enseignement supérieur. Au Royaume-Uni, poussé par sa sélection par l’Open University, Moodle est désormais présent dans 56 % des institutions de formation continue. En France, plus de 200 sites sont répertoriés, y compris l’INT et surtout sa consœur l’ENST Bretagne qui fait figure de pionnière dans son utilisation. Développé en 1999 par l’australien Martin Dougiamas et fruit de son désaccord avec les solutions propriétaires, Moodle présentait 20 200 installations enregistrées fin 2006 avec 8,3 millions d’utilisateurs. Moodle est également devenu très international : il est disponible en 75 langues et présent dans 169 pays.

La pénétration de Moodle dans le monde éducatif est due en partie à sa gratuité et la plateforme a certainement profité de la mauvaise presse de Blackboard, mais cela n’explique pas tout ! Moodle, déjà disponible en version 1.7 en novembre 2006, se distingue d’autres logiciels Open Source, car cet outil ne dépend pas entièrement de la bonne volonté de la communauté pour son développement. Martin Dougiamas a fondé une association qui paye les programmeurs pour améliorer la plateforme au fur et à mesure, ainsi qu’une poignée de personnes employées directement. Mais son trait le plus important est de mettre l’accent sur la collaboration, ce qui la rend parfaitement adaptée aux échanges professeur/étudiant. De plus Moodle est très riche en fonctions d’origine auxquelles ont été ajoutés des modules d’extension développés par des tiers. L’esprit de collaboration est visible dans les multiples possibilités d’échange offertes par la plateforme : forums, enfilades, messagerie instantanée et salles de discussion, wikis et bloc-notes (blogs). Sa construction modulaire permet l’addition ou la suppression de fonctions selon le niveau de sophistication exigé par l’institution ou organisation qui l’installe.

Cependant le succès de Moodle est surtout réel dans les formations continue ou initiale du monde universitaire. Dans le secteur commercial, il y a toujours une réticence à employer des logiciels Open Source du fait des problèmes de support ou de complexité d’installation et de configuration. Les entreprises susceptibles de mettre en place une telle plateforme d’apprentissage cherchent un savoir-faire facile à tester et rapidement rentable plutôt qu’un échange collaboratif et soutenu. Néanmoins, Moodle fait désormais partie du paysage des environnements numériques d’apprentissage et de travail les plus riches et son futur est très prometteur. C’est un projet qui continue à évoluer et dont les versions prochaines vont dans le bon sens, c’est-à-dire vers des réponses aux besoins pédagogiques exprimés par la communauté enseignante (par exemple les rôles), ou vers l’ouverture et l’interopérabilité.


[1] Voir : http://profetic.org/dossiers/wikini/wakka.php?wiki=ENA

[2] Voir : http://www2.educnet.education.fr/sections/superieur/infrastructures/unr/4unr

[3] Voir : http://www.ent-leblog.net

[4] Voir : http://thot.cursus.edu/

[5] Voir : http://trends.newsforge.com/article.pl?sid=06/11/30/1746257

[6] Voir : http://delegation.internet.gouv.fr/mipe/projet.htm

[7] Voir : http://www.educnet.education.fr/

[8] Voir : http://www.prolearn-project.org/


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