Emploi et questions sociales en 2006


Reprise certaine mais optimisme mesuré

En Europe, l’emploi dans les technologies de l’information reprend mais l’optimisme n’est pas général, en particulier aux États-Unis. D’une part, les rapprochements chez les constructeurs sont à l’origine de 36 % des suppressions de postes au premier semestre, d’autre part, la confiance des salariés dans la stabilité de leur emploi semble définitivement compromise. Le cabinet américain Challenger, Gray & Christmas redoute que la recherche permanente de baisse des coûts internes ne perturbe définitivement le marché de l’emploi IT et il liste plusieurs facteurs inquiétants : la hausse des prestations santé et la révision des retraites chez IBM, HP et Verizon (que tous les autres acteurs copient). Certes, les embauches sont en hausse, les réductions d’effectifs diminuent mais les salariés du secteur des technologies de l’information continuent d’avoir un moral très bas.

Les équipementiers : grandes manœuvres et rapprochements

De très nombreux rapprochements et de fusions acquisitions ont lieu chez les constructeurs et équipementiers et ils sont suivis le plus souvent par des réductions d’effectifs.

Alcatel Lucent annonce officiellement sa fusion en septembre et dès le début décembre, des rumeurs de licenciements courent (environ 9 000 emplois sur les 88 000 salariés que les deux groupes cumulaient en début d’année, soit une réduction globale de 10 % de l’effectif). La réputation de Patricia Russo forgée par sa gestion de la restructuration de Lucent n’incite pas les salariés à l’optimisme. AMD rachète ATI (fournisseur de puces pour mobiles) et licencie en fin d’année. Brocade (infrastructures pour les réseaux de stockage) absorbe son concurrent McData. EMC (25 400 salariés dans le stockage) reprend RSA (sécurité) après ProActivity, nLayers, Interlink et Kashya. HP reprend Mercury Interactive Corp. (soit 2 650 p.) en juillet et crée une nouvelle entité HP Software pour se placer dans le secteur des logiciels BTO (Business Technology Optimization). Intel (100 000 salariés), menacé par la concurrence, cède ses activités « non stratégiques » (comme la division puces télécoms) et supprime 1 000 postes (principalement des postes d’encadrement) afin d’économiser 1 milliard de dollars dès 2007. Toutefois, un plan de licenciement encore plus drastique est prévisible à court terme (10 % des effectifs). Dans une optique de réduction des coûts, 80 000 salariés de l’entreprise télétravaillent. Le constructeur d’imprimantes Lexmark (12 000 p.) licencie 825 personnes et transfère 525 postes dans des pays à bas coûts salariaux. Les effectifs français sont aussi concernés, 300 postes sur 750 sont supprimés, au siège social près d’Orléans (180 postes sur 450) et à La Défense (120 postes sur 300). Motorola rachète Symbol Technologies (3,9 milliards de dollars en cash), un spécialiste des outils professionnels (terminaux mobiles spécifiques, terminaux à codes barre et systèmes RFID) et reprend aussi en novembre Netopia (pour 208 millions de dollars) spécialiste des modems câblés et sans fils, des routeurs et passerelles adaptés aux services voix, vidéo et donnée. Les nouveaux salariés sont regroupés dans une nouvelle filiale pour grand public Home Connected Solutions. NEC Semiconductor, filiale du géant japonais NEC Electronics, ferme en septembre son usine irlandaise de Ballivor (environ 300 p.). Bien que l’Irlande soit un paradis fiscal pour l’industrie des semi-conducteurs, la production est transférée en Malaisie. Nokia (58 874 p.) se rapproche de Siemens et de Sanyo Electric. En prévision de l’abandon de la technologie de Qualcomm, CDMA (Code Division Multiple Access, utilisée par Sprint et Verizon), il licencie en août ses équipes de San Diego, soit 1 100 employés. Cette usine (16 650 m2) construite en 1999 doit se reconvertir à la production de téléphones GSM adoptés désormais par Cingular, Sprint, T-Mobile et Verizon. Les licenciements doivent être terminés au plus tard en avril 2007, date de la fin de la licence. Nvidia reprend les salariés de PortalPlayer, concepteur du processeur servant à décompresser les fichiers audio/vidéo de l’iPod pour Apple.

En Asie, Acer réduit ses effectifs à Taïwan en utilisant les départs naturels. Le constructeur chinois de PC Lenovo supprime également un millier d’emplois dans le monde (5 % de ses effectifs), pour réduire ses coûts. Avec la reprise en 2005 de l’activité PC d’IBM (et ses 10 000 salariés), il veut maintenant économiser 205 millions d’euros par an avec un plan de restructuration, sur environ 12 mois, qui touche l’Amérique du Nord, l’Asie et l’Europe. Le rachat de Maxtor par Seagate fin 2005 est suivi par le licenciement de la moitié des effectifs (6 000 salariés sur 12 000) courant 2006. Ces suppressions concernent massivement les salariés occidentaux de Maxtor, plus chers que les asiatiques. Malgré cette décision, Seagate compte encore 51 000 employés dans le monde début 2007.

Philips Electronics se débarrasse de sa filiale semi-conducteurs et, en France, l’usine de Dreux de LG Electronics Philips (usine de tubes cathodiques avec 639 p.) est en faillite. Siemens poursuit ses restructurations. Le taïwanais BenQ tente d’éviter sa chute en sous-traitant une partie de ses activités à Foxconn (japonais) et Jabil Circuit (américain), mais il va quand même faire faillite ce qui pose le problème des 3 000 salariés de Siemens qui y ont été transférés (voir plus loin).

En France, Altis Semi-conducteur (société commune IBM et Infineon, 1 946 p. sur le site de Corbeil-Essonnes) effectue un plan social de 425 emplois. HP France se remet mal de son dernier plan social (850 salariés) malgré le départ de Patrick Starck et l’arrivée d’Yves de Talhouët (ex Schlumberger, cofondateur de Devoteam et PDG d’Oracle France et nouveau PDG). Enfin, Nortel cède ses activités UMTS à Alcatel et transfère conformément à l’article L.122 12 960 salariés avec une clause spécifique qui garantit, à hauteur de 150 salariés, le financement de leur licenciement par Nortel au cas où la nouvelle entité viendrait à s’en séparer.

L’année des opérateurs est relativement plus calme

Parmi les opérateurs qui font l’actualité, AOL (19 000 p. dont 2 500 en Europe) tente de survivre en licenciant les salariés chargés de la programmation des portails français, britannique et allemand, les équipes chargées de la gestion des accès payants (facturation, service après-vente) soit 25 % de ses effectifs. Western Telecom, créée en 1995, entrée en bourse en 1998, ne résiste pas aux difficultés que l’entreprise rencontre depuis mars 2001 et est mise en liquidation. Ses derniers salariés sont partiellement repris par B3G et par un ancien responsable commercial.

En Grande-Bretagne, Cable & Wireless annonce en février une réduction de moitié de ses effectifs d’ici 5 ans (environ 5 500 salariés). L’OFT (Office of Fair Trading), approuve le rachat d’Easynet par BskyB et le rapprochement des câblo-opérateurs NTL et Telewest. Un plan social de 6 000 emplois d’ici fin 2007 est annoncé juste après. Fin mai le président de Vodafone, Arun Sarin, annonce une perte de 21,8 milliards d’euros et la suppression de 6 000 postes dans le monde pour diminuer de 10 % les frais de personnel. En Irlande, le rachat d’Eircom s’effectue après des mois de négociations, par l’acceptation d’une offre à 2,42 milliards d’euros de BCM Ireland Holdings. BCM regroupe la société d’investissement australienne Babcock & Brown Capital et l’Eircom Employee Share Ownership Trust (ESOT), qui représente le personnel. Ce dernier craint un partage des activités en deux (téléphonie au détail et vente en gros aux opérateurs).

En Ukraine, l’opérateur fixe Ukrtelecom possédé par l’Etat à 92,86 %, envisage un plan de licenciement de 80 000 salariés étalé sur trois ans à compter de juin.

En France, malgré le développement de nouveaux réseaux 3G et 3G+, de nouveaux services, de la convergence et de la progression des investissements, l’emploi chez les opérateurs ne subit pas d’évolution notable et compte 140 650 postes. Ce chiffre global correspond à une baisse des emplois directs (d’environ 1,2 %) et à une hausse importante des effectifs induits puisqu’au total les effectifs globaux croissant de 1,7 % (18 000 salariés). Parmi les faits marquants, Neuf Cegetel rachète en septembre AOL France et son centre d’appel marseillais (500 salariés) et s’introduit en bourse en octobre. FT/Orange reprend la SSII grenobloise Silicomp (intégration et sécurité des réseaux) pour se renforcer dans le domaine de l’IPv6, des cartes à puce, de la ToIP. L’opérateur historique nomme de nouveaux dirigeants : Jean-Noël Tronc (directeur général), Pascal Viginier (Directeur commercial des opérations France), Louis-Pierre Wenes, (Président du Conseil d’Administration d’Orange France). Le groupe perd Didier Quillot (ancien dirigeant d’Itinéris, la première marque mobile du groupe) qui prend la direction d’un nouveau pôle chez Hachette, regroupant Hachette Filipacchi Médias et Lagardère Active, la filiale production audiovisuelle, Internet et mobile du groupe. Daniel Caclin quitte également FT pour diriger Erenis, un opérateur parisien « triple play » sur fibre optique. Au niveau global des effectifs, 22 000 « départs naturels » sont toujours attendus entre 2006 et 2008, mais le groupe veut effectuer 6 000 embauches. SFR reprend les activités fixes et ADSL de Télé 2 qui ferme en France (après le départ de Jean-Louis Constanza) tandis que les activités mobiles (MVNO sur le réseau d’Orange) demeurent liées à la maison mère, Télé 2 AB. De son côté, Jean-Louis Constanza, fonde un nouvel MVNO, Ten, onzième opérateur mobile virtuel du marché français qui s’appuie sur Orange et est financé par Axa Private Equity.

Chez les câblo-opérateurs les mouvements continuent et le paysage se remodèle. Liberty Global cède sa filiale française UPC au fonds d’investissement britannique Cinven et au câblo-opérateur luxembourgeois Altice. Avec Ypso, Cinven et Altice possédaient déjà –depuis décembre 2004 – les deux autres principaux réseaux câblés français, France Télécom Cable et Canal Plus (Numéricâble) : ils contrôlent désormais les réseaux France Télécom Câble, Numéricâble, UPC et Noos. Noos-UPC prépare un nouveau plan de réduction de 832 postes sur 1 341 (soit deux tiers des effectifs), réduit ses activités administratives, techniques et ses centres d’appel tout en créant 154 nouveaux postes de commerciaux. Ce second plan social (en 2002, il y avait déjà eu une suppression de 300 postes) de 678 personnes, principalement parmi les fonctionnels, associé à une croissance des activités commerciales conduit en fin d’année à une montée des réclamations clients sans précédent, dont tous les journaux se feront l’écho.

Il faut signaler que deux secteurs liés aux activités à distance se portent bien. D’un côté, la vente à distance (VAD) et le e-commerce qui a créé au cours des six dernières années plus de 1 700 nouveaux postes, souvent dans les petites et moyennes structures de commerce en ligne (voyagistes, distributeurs de produits high-tech ou de biens culturels) occupent désormais 47 000 emplois directs et ses perspectives d’emploi sont excellentes. De l’autre, les sociétés de gestion des centres d’appel sont également florissantes. Acticall rachète son concurrent Vitalicom en septembre et compte désormais 2 000 salariés sur 11 sites (3e en France avec un CA de 70 M€) après Arvato (groupe Bertelsmann) et Téléperfomance.

Les sociétés de services informatiques : une vie en rose… sauf pour celles qui broient du noir

Pour les sociétés de services américaines, le paysage semble plus contrasté. D’un côté, IBM reprend ses acquisitions avec FileNet (gestion de contenu) et ISS (Internet Security Systems, fondée en 1994 par Christopher W. Kalus) mais aussi MROSoftware et Webiby solutions (un spécialiste SOA). Infor reprend Extensity (ex-Geac) et Systems Union, deux spécialistes du décisionnel et de la finance (qui venaient juste de fusionner) et confirme sa place de troisième acteur mondial des ERP. Microsoft recrute également 10 000 nouveaux salariés sur l’année fiscale 2006 (close au 30 juin), ce qui représente le plus important plan de recrutement depuis sa création, il y a 31 ans. Sont intégrés : 4 000 nouveaux chercheurs, 3 000 commerciaux et spécialistes du marketing (croissance de 17 %), 1 000 personnes en conseil et support et 4 000 personnes dans les services généraux et administratifs. Un financement d’un milliard de dollars sur trois ans est prévu pour agrandir le campus de Redmond qui va accueillir à terme environ 12 000 salariés supplémentaires (environ 30 000 p. actuellement). Plus de 900 cadres se partagent 1 milliard de dollars d’actions et 8 dirigeants perçoivent 81,4 millions de dollars. Au total, 37 millions de titres sont distribués aux salariés pour les remercier de leurs performances pendant les trois dernières années. Symantec reprend en février Relicore, un éditeur de solutions pour la gestion des centres de données (connaissance en temps réel des changements – applications ou composants – effectués au sein des serveurs).

Côté sombre, l’éditeur CA qui achète Wily (260 salariés) en janvier, supprime en août 1 700 postes pour compenser un recul de 64 % de son bénéfice. CSC licencie 5 000 personnes (6 % des effectifs) et annonce deux autres plans : 4 300 postes pour l’exercice fiscal 2007 et 700 pour 2008, dont la majorité en Europe. Oracle après sa boulimie de rachats des années précédentes, annonce un sureffectif de 2 000 postes et veut revenir à 55 000 salariés. Le nouveau patron de Sun, Jonathan Schwartz, annonce aussi en juin 5 000 suppressions d’emplois avec la fermeture des campus de Newark (Californie) et de Sunnyvale.

Le secteur des jeux éprouve aussi des difficultés. Atari, la filiale américaine d’Infogrames, réduit ses effectifs de 20 %. Electronic Arts (6 800 p.), le leader mondial, licencie également 5 % de ses effectifs, soit environ 300 personnes principalement en Californie (Redwood Shores), en Floride (Tiburon) et au Canada (Vancouver). Bien que l’éditeur soit propriétaire de 20 % des parts d’UbiSoft, il s’élève contre la pratique des contrats d’exclusivité imposés aux salariés canadiens qu’il considère comme illégitime.

En Europe, l’emploi repart progressivement, lentement en début d’année mais beaucoup plus nettement à partir de septembre. Le nombre des regroupements de sociétés de services (SSII, éditeurs de logiciels et sociétés de conseil) est particulièrement important (plus de 125, soit presque autant qu’en 2000) pour un montant global cumulé de 1,28 milliard d’euros (contre 1,023 milliard d’euros en 2005). Cette croissance de 25 % par rapport à 2005 s’explique, dans le plupart des cas, par une faible taille des entreprises (2 000 éditeurs de logiciels ont un chiffre d’affaires inférieur à 2 millions d’euros, des effectifs nettement en dessous de 50 salariés et une ancienneté souvent de 2 ou 3 ans). Parmi les grandes fusions, il faut signaler LogicaCMG qui après Unilog rachète le suédois WM-data (9 000 p.) et double ainsi ses effectifs. Cette société de services devient ainsi numéro 7 en Europe et 20e mondiale. Sage acquiert Verus Financial Management en début d’année (275 millions d’euros).

En France, le Syntec informatique table sur une croissance annuelle de l’ordre de 7 % avec un redémarrage des recrutements (une croissance de + 35 % à 40 % selon les analystes) et une création d’environ 10 000 postes sur l’année. Cette croissance place la France au niveau des autres pays européens comme le Royaume-Uni (+ 6/7 %), l’Allemagne (+ 5/6 %) et l’Espagne (+7/9 %), tandis que l’Italie reste à la traîne (+ 2/3 %). L’APEC et le site Keljob confirment cette analyse. En juillet le site d’emploi bat son record avec 430 000 offres d’emploi référencées dont 14 % pour le secteur de l’informatique et des télécoms. Le dernier salon de recrutement informatique, organisé par Les jeudis de l’informatique au Palais des congrès le 14 septembre 2006, regroupe 75 exposants, un record jamais atteint depuis les années fastes 1999-2001. Enfin, autre signe d’amélioration, les salaires des jeunes diplômés repartent légèrement à la hausse après quatre années de stagnation. Selon le cabinet Towers Perrin tous les secteurs sont en hausse, en particulier dans le secteur bancassurance (+17,2 % pour les jeunes ingénieurs). Les vieilles recettes retrouvent leur intérêt : campagnes de communication, cooptation, présence active dans les écoles, organisation de rencontres et évènements médiatiques dans de nombreuses villes. Toutefois, dès octobre, l’APEC remarque que certaines entreprises anticipent trop fortement leurs recrutements et ne transforment pas toujours leurs intentions d’embauche en contrats. En effet, le « taux de conversion » d’une offre du secteur des technologies de l’information est pratiquement le plus bas pour l’emploi des cadres.

Cette reprise des recrutements fait revenir le « spectre de la pénurie ». Certains acteurs considèrent que les jeunes n’ont plus d’intérêt pour les études technologiques et informatiques et le départ des seniors en retraite inquiète. Le cabinet Forrester, après une étude sur 6 pays, montre qu’effectivement 5 % des effectifs (I.T.) vont partir en retraite entre 2006 et 2007 mais que les remplacements s’effectueront davantage sur des profils métiers que techniques. Une étude du CIGREF va dans le même sens. Les compétences les plus demandées concernent les consultants SAP, les développeurs Java/ J2EE, les administrateurs Unix ou Oracle, les spécialistes de l’environnement Microsoft .NET, de la téléphonie ou de la vidéo sur IP et de la sécurité. Le Syntec Informatique, pour relancer l’intérêt des jeunes pour le secteur, lance une opération « validez votre B2i en découvrant les métiers de l’informatique » et soutient également l’association Pasc@line qui regroupe une trentaine d’écoles d’ingénieurs et veut rapprocher l’enseignement supérieur scientifique des entreprises. Il signe également avec les Assédic une convention de formation pour former les chômeurs aux qualifications les plus demandées. En effet, on répertorie encore en catégorie 1 (sous le code Rome 323) 33 452 chômeurs en janvier selon le Ministère de l’Emploi mais seulement 29 075 en avril. Enfin, l’organisme patronal, après avoir longtemps minimisé l’impact des délocalisations, reconnaît avec son président Mounet leur « développement très sensible, comme nous l’avions pressenti… (dont) l’impact qualitatif… (justifie le lancement d’) une étude sur l’avenir des métiers…, de manière à déceler les métiers où la proximité client est moindre, comme dans le développement ».

Côté entreprises, le groupe lyonnais Cegid se porte bien, finalise l’absorption de CCMX et effectue une réorganisation en février.Devoteam (2 300 p. et CA de 199 M€) poursuit son expansion en Europe avec la reprise de Tertio (40 p.) et Guidance (120 p.), situés en Angleterre et au Benelux. En mai, le groupe nomme Michel Bon comme Président de son conseil de surveillance. Le groupe prend également la majorité du capital de daVinci, une société norvégienne de 60 consultants dans les secteurs publics et la santé. Le pôle consulting de Devoteam regroupe désormais 350 personnes en Europe. Sogeti, une filiale de Capgemini lance un grand plan de recrutement de 3 100 ingénieurs (dont 1 800 en France). Solucom, après avoir repris DreamSoft en 2005, intègre KLC un spécialiste des Systèmes d’information. Telindus Arche veut recruter 150 nouveaux ingénieurs.

Certaines SSII cependant broient du noir

En revanche, Altran, Atos Origin, Business Objects, Oracle, Sap obtiennent de mauvais résultats et veulent alléger leurs effectifs. Altran, après les scandales comptables des années 2002, perd le président de son directoire Christophe Aulnette (nommé en mars 2005) et le remplace par un ancien du groupe Hersant, Yves de Chaisemartin. Chez Atos Origin, Philippe Germond (ancien d’HP, Alcatel et SFR) entre au directoire et prend la responsabilité opérationnelle de l’Asie Pacifique, de l’Amérique du Nord et d’Atos Worldline ainsi que des ventes mondiales. Il prévoit un plan de redressement pour janvier 2007 mais les rumeurs de rachat circulent toute l’année. La branche « outsourcing » de CapGemini se porte également mal ; un plan social d’environ 210 suppressions de postes (sur 720 personnes) est annoncé en juillet mais il est refusé par le TGI de Nanterre, au motif que la gestion préventive de l’emploi obligatoire depuis 2005 n’a pas été mise en place et que le transfert à Unisys de certains salariés n’est pas justifié. Cependant le groupe renforce toujours ses effectifs indiens et atteint environ 10 000 dans ce pays. Oracle France annonce en juillet un plan social et propose 25 postes en reclassement interne aux 37 salariés concernés.

Le secteur des jeux vidéo français continue de mal se porter ; les aides promises pour 2006 n’ont pas été adoptées. Bruxelles veut limiter les mesures aux jeux culturels et les dirigeants délocalisent massivement surtout en raison de la croissance des coûts de développement sur les consoles « Next Gen ».

Quelques autres faits sociaux marquants

L’actualité sociale, comporte quelques faits qui méritent d’être signalés. La croissance du travail nomade aux États-Unis entraîne la multiplication des pertes ou des vols d’identité personnelle, quelques affaires d’éthique choquent l’opinion publique et les conséquences des délocalisations sur la sécurité intérieure commencent à inquiéter les américains.

Les dangers du nomadisme

La montée du nomadisme aux États-Unis conduit à une étrange course aux records dans la perte des données personnelles. De très nombreuses affaires de négligences graves ou de vols de portables, entraînant des pertes ou des vols d’identités personnelles, sont rendues publiques. Un cabinet spécialisé, Javelin Strategy, avait recensé en 2005 8,9 millions de personnes concernées (en légère régression par rapport à 2004, avec 9,3 millions de cas) et un coût global important (plus de 53 milliards de dollars). Un autre spécialiste, Privacy Rights Clearinghouse, comptabilise environ 60 millions d’informations personnelles perdues en deux ans, aussi bien dans les entreprises privées que des organismes gouvernementaux.

Dès janvier la liste s’accroit avec Ameriprise (filiale d’American Express) qui révèle le vol d’un portable contenant les données personnelles de 230 000 personnes (70 000 conseillers financiers et 158 000 clients) dans une voiture. En mars, c’est un vol de portable chez Fidelity Investments avec les données personnelles de 196 000 salariés (ou ex-salariés) de HP. Outre les noms, adresses, numéros de sécurité sociale, dates de naissance, il contenait les rémunérations et toutes les données nécessaires à la gestion de l’épargne des salariés. En mai, c’est un portable du Ministère des anciens combattants qui disparaît avec 26 millions d’identités personnelles et qui sera retrouvé… grâce à une très grosse prime. En août, AOL publie par erreur les données de recherche de 65 000 de ses utilisateurs et se fait attaquer par l’Electronic Frontier Foundation (EFF), organisme américain de défense des libertés civiles, devant la FTC (Federal Trade Commission). En novembre, un ordinateur portable est volé chez un assureur des étudiants et du personnel de l’Université de Villanova. D’autres « affaires » identiques font un peu moins de bruit : un organisme de gestion de fonds, TG, confie à son sous-traitant, Hummingbird, « une pièce d’équipement » avec 1,3 million d’enregistrements qui disparaissent… L’éditeur McAfee explique à ses 9 000 salariés américains et canadiens qu’une « personne étrangère à ses services » (un auditeur externe de Deloitte) a perdu un CD (dans un avion) avec leurs données personnelles. La palme revient incontestablement à la compagnie Boeing qui « perd » trois portables en un an. Se volatilisent ainsi en novembre 2005 160 000 noms de salariés présents et anciens, en avril 3 600 fichiers et enfin en décembre 382 000 fichiers de salariés et de retraités. Cette situation oblige le président des États-unis à intervenir, à créer un groupe de travail spécifique l’« Identity Theft Task Force » qui doit présenter en février 2007 des mesures concrètes. Dès septembre, le groupe de travail propose des mesures provisoires.

À la lumière de ces dérives américaines et si l’on se souvient qu’un PC sur deux vendu en 2006 est un portable, la question est de savoir pourquoi ces affaires semblent ne jamais arriver en France. Plusieurs enquêtes montent que 82 % des cadres français stockent des « données sensibles » ou confidentielles sur des outils « mobiles » et que 24 % des possesseurs de machines portables auraient tendance à les perdre (contre 18 % en Italie, 8 % en Allemagne). Bien que les plus belles histoires d’espionnage industriel soient souvent le fait des cadres les plus hauts placés, la formation à la sécurité est faible. Il faut toutefois mentionner deux points : d’une part en France, la CNIL s’est toujours opposée à l’adoption du numéro de sécurité sociale comme identifiant ce qui protège (relativement) les personnes en cas de perte de données mais d’autre part, les entreprises françaises n’ont aucune obligation d’avertir leurs clients en cas de perte ou vol de données personnelles, contrairement à ce qui se passe aux États-Unis, dans un grand nombre d’Etats. L’attitude des banques françaises en cas de « phishing » est d’ailleurs fort éloquente : moins les affaires de fraudes sont connues, mieux cela vaut. La transparence n’est pas la règle.

Les affaires d’éthique qui secouent l’opinion

Chez Siemens : corruption et vertu « forcée ». Malgré la mise en place d’un dispositif anticorruption (appelé Compliance Program), d’un contrôle financier strict, d’une charte pour une gouvernance d’entreprise et d’un système de « management des valeurs », aucun des mécanismes de contrôle internes n’empêche les dirigeants de Siemens de pratiquer la corruption sur une grande échelle (environ 420 millions d’euros sur 7 ans) afin d’obtenir des contrats à l’étranger. Douze personnes sont inculpées et sept incarcérées, dont l’ancien patron de la division Com, M. Thomas Ganswindt. Le président du conseil de surveillance en exercice, Heinrich von Pierer, ancien PDG pendant 13 ans, veut faire toute la lumière sur ces comportements illégaux, en particulier parce que Nokia repousse en janvier 2007 la fusion des activités d’infrastructures télécoms des deux entreprises après ces révélations. Pour se racheter aux yeux de l’opinion publique, Siemens finit par créer une structure de reclassement pour ses 3 000 salariés transférés chez BenQ (téléphones mobiles) qui vient de déposer son bilan. L’opinion publique unanime (syndicats, politiques et clergé réunis) est horrifiée. D’un côté ces pratiques des dirigeants, de l’autre les délocalisations et les transferts d’activité qui sont censées représenter la survie économique. Les dirigeants de Siemens « renoncent » donc à une augmentation de 30 % de leurs salaires et le fonds correspondant (soit 35 millions d’euros) va servir à créer un fonds d’aide pour les salariés licenciés par BenQ. La morale revient en force et les 12 000 salariés des deux autres divisions également menacées d’externalisation (télécommunications et informatique) vont sans doute bénéficier d’un petit répit.

Aux États-Unis, écoutes illégales et travail forcé. Chez HP, une affaire d’écoutes illégales oblige Patricia Dunn et sa directrice juridique à démissionner. La première est accusée d’avoir utilisé les services de deux détectives pour piéger un membre du Conseil d’Administration suspecté de fuites en se faisant passer pour des journalistes. Le D.G., Mark Hurd, reconnaît également l’usage de faux e-mails pour repérer les fuites et plusieurs enquêtes sont lancées conjointement, celle de la SEC, celle du Département de la Justice et celle du procureur général de Californie.
Pendant l’été, Apple est accusé de tolérer de mauvaises conditions de travail chez son sous-traitant chinois, Foxconn. L’enquête révèle des pratiques peu correctes (temps de travail excessif pour un salaire inférieur au minimum légal local et des conditions de travail et de vie indécentes) malgré l’existence d’un Supplier Code of Conduct qui aurait dû éviter de tels abus.

Economies versus sécurité ? Le lancement d’un rapport du département de la défense (DOD) provoque de larges débats dans l’opinion publique quant à la légitimité des délocalisations, en Inde ou dans des pays à bas coûts salariaux, des applications sensibles pour les militaires. Les risques des attaques possibles contre les grands systèmes doivent être évalués. Au sein du DOD, le DSB (Defense Science Board) qui regroupe des civils et des militaires est chargé d’élaborer des mesures de détection et de prévention des menaces, en particulier contre les cyber-attaques qui peuvent être plausibles de la part des chercheurs étrangers. Comme il est raisonnablement impossible de garantir que tous les programmeurs étrangers soient pro-américains, l’une des premières mesures possibles serait d’effectuer un développement 100 % américain. Certaines entreprises privées prônent désormais un retour du « code 100 % Yankee ». Le rapport prévu en 2007 doit donner lieu à un large débat.

Quelques aspects de la jurisprudence sociale en France

Deux jurisprudences remettent en cause les politiques d’emploi court terme dans le secteur high-tech. La décision mentionnée ci-dessus obligeant Cap Gemini à mettre concrètement en œuvre une Gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) (« pas de déploiement du référentiel métiers, ni d’aucune des autres dispositions prévues ») n’est pas unique. Ainsi, sur demande de trois syndicats, le tribunal de grande instance (TGI) de Paris suspend en octobre 2006 le plan de restructuration de NextiraOne (ex-filiale d’Alcatel) « jusqu’à ce que la consultation sur la GPEC soit menée à bien ». L’application de la loi de cohésion sociale, qui contraint les groupes de plus de 300 salariés à négocier avec les syndicats des accords de GPEC, est faite avec rigueur et conduit les tribunaux à surseoir au jugement lorsqu’un plan social est demandé. Ainsi, les pratiques d’ajustement des effectifs court terme habituellement de règle vont devoir évoluer.

Une longue chicane pour de gros sous

Après une procédure de dix ans, le CE d’IBM Montpellier obtient gain de cause et récupère deux millions d’euros octroyés par la cour d’appel de Toulouse. Entre 1983 et 2001, IBM avait refusé de verser au CE (1 400 salariés) la subvention de fonctionnement. Ayant saisi la justice en 1996, le CE obtient gain de cause en 1997 mais l’entreprise fait appel. Une nouvelle condamnation de la cour d’appel de Montpellier pour la période 1997-2001 est prononcée. Le CE se pourvoit en cassation pour obtenir les versements correspondant à la période antérieure (1983-1996). Après une décision favorable de la cour de cassation en novembre 2005, le dossier est finalement renvoyé devant la cour d’appel de Toulouse qui oblige l’entreprise à effectuer ce versement.


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