La consommation des composants et des terminaux
Un PC type consomme entre 150 et 450 W[1]. La carte vidéo, les lecteurs optiques, les barrettes de mémoire vive et les divers éléments consomment de plus en plus d’énergie, au fur et à mesure que leurs performances augmentent ; en outre, ils sont de plus en plus nombreux dans les appareils[2]. Les serveurs tournent 24 heures par jour, dans des salles spéciales qu’il faut climatiser pour maintenir les bonnes performances de calcul des appareils[3]. L’augmentation des capacités de calcul se traduit par une augmentation, moins rapide mais réelle, des consommations d’énergie. Les supercalculateurs, tels que le Earth Simulator de NEC (Japon), consomment aujourd’hui la bagatelle de 12 MW soit l’équivalent de 1,6 million de lampes de 60 W. Un processeur ordinaire consomme plus de 100 W[4]. Les recherches visant à réduire l’énergie consommée par nombre d’opérations semblent toutefois commencer à prendre leur essor[5]. Il est difficile de dire si elles sont motivées par le souci écologique d’économiser l’énergie, ou s’il s’agit d’une solution technique pour évacuer la chaleur croissante émise par les appareils et augmenter leur portabilité, c’est-à-dire leur durée d’usage sur batterie.
La consommation des veilles des téléphones portables n’a cessé de diminuer, passant de 1 W à quasiment zéro. Les consommations par unité semblent diminuer. La consommation d’un GSM a été réduite d’un facteur 5 entre 1996 et 2001, la consommation en veille a été divisée par deux[6]. Toutefois le motif premier est l’augmentation de l’autonomie des appareils et non la réduction des impacts de la consommation d’énergie sur l’environnement. Mais la consommation des téléphones dans la part nationale a peu varié, l’augmentation de l’efficacité énergétique étant compensée par l’augmentation des services offerts (flux de données plus élevés, écrans plus grands, etc.). En Allemagne par exemple, la consommation est stabilisée autour de 100 GWh/an depuis 1995[7].
D’après l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), la consommation du secteur résidentiel a augmenté de 2 % par rapport à 2005. Cette hausse est essentiellement due aux consommations d’électricité spécifique (électricité hors chauffage, eau chaude sanitaire et cuisson) qui ont augmenté de 4 % par rapport à 2005 et de 75 % depuis 1990, passant de 39,6 à 69,4 TWh. « Cette évolution est principalement due à l’accroissement du nombre d’appareils électroménagers présents dans chaque foyer : produits bruns (TV, magnétoscope, Hi-Fi, décodeurs, téléphonie, ordinateurs…) et petits équipements électroménagers (fers à repasser, aspirateurs…) représentent aujourd’hui plus de 20 % des consommations d’électricité du secteur résidentiel »[8]. Là encore, d’énormes efforts ont été faits par les constructeurs qui ont divisé la consommation des téléviseurs par deux voire davantage. Mais les gains de consommation sont en grande partie compensés par la multiplicité des équipements et l’augmentation de la taille des écrans. Les premiers résultats de l’étude européenne REMODECE laissent entrevoir une forte hausse des consommations, de 160 kWh/an pour un téléviseur ordinaire à 650 kWh/an pour un écran plasma ou LCD. Les écrans les plus petits sont supprimés des catalogues[9].
La part des TIC dans la consommation nationale
D’autres débats portent sur l’évaluation des niveaux de consommation des TIC dans la consommation totale d’énergie, ainsi que sur son évolution à plus ou moins long terme. Plusieurs études ont ainsi cherché à déterminer la consommation d’Internet ou de la téléphonie. Mark S. Mills, du Competitive Enterprise Institute, a estimé que la consommation liée à Internet pourrait s’élever à 13 % de la consommation électrique totale du pays[10]. J.A. « Skip » Laitner, de l’Environmental Protection Agency, estime, quant à lui, que la consommation actuelle aux États-Unis ne s’élève qu’à 3 % de la consommation totale d’électricité, avec de fortes incertitudes sur l’avenir, car les TIC sont partout et il est très difficile de leur imputer un niveau précis de consommation[11]. La consommation annuelle des mobiles en Allemagne serait de 0,4 TWh, celle des équipements de télécommunication était évaluée à 3,1 TWh en 1996, ce qui équivalait à 0,7 % de la consommation électrique totale, soit autant qu’Internet à l’époque[12]. Avec quelques différences sur les hypothèses de travail, V. Türk estime la consommation d’Internet en Allemagne entre 2,3 et 8,1 TWh (0,5 à 1,7 % de la consommation totale)[13] tandis que Barthel la situe entre 4,2 et 7,3 TWh (0,9 à 1,5 %)[14]. Une autre étude aboutit à des chiffres comparables : 0,8 à 0,9 % de la consommation d’électricité des États-Unis[15]. Les PC et les moniteurs représentent environ 40 % de la demande électrique totale des machines TIC dans le secteur non résidentiel, c’est le premier poste de consommation. Ces études sont basées sur des données qui datent de la fin des années 90.
La part de l’infrastructure et la part des usagers
Les résultats divergent en raison de problèmes d’imputation des consommations. Par exemple, la consommation permanente d’un modem doit-elle être imputée au PC ou à l’infrastructure ? Comment déterminer l’usage qui est fait d’un PC ? Est-il utilisé comme téléphone, via des logiciels de téléphonie gratuite, comme traitement de texte, comme outil de navigation sur Internet, ou autrement encore ? Pour mesurer la consommation d’Internet, le temps passé sur le traitement de texte devrait être déduit. Il est dès lors nécessaire de recouper les études énergétiques avec les études sociologiques en termes d’usage.
Le périmètre choisi pour la mesure est un élément extrêmement important de comparaison. Une étude menée sur une université montre que un tiers des émissions de CO2 du réseau local vient de la consommation d’électricité, un gros tiers vient de la maintenance et un petit tiers de la fabrication du hardware[16]. La maintenance est en effet une activité assez lourde qui accompagne nécessairement l’implantation d’un système d’information. À nouveau cela montre qu’il est important de prendre en compte l’ensemble des effets écologiques et pas seulement les plus visibles du point de vue de l’utilisateur final.
Suivant les hypothèses de départ, certaines études évaluent la consommation de l’infrastructure d’Internet à 29 %[17] ou entre 60 et 95 %[18]. Dans la téléphonie mobile, 90 % de la consommation est générée par l’infrastructure et 10 % par le terminal. Une étude japonaise arrive aux mêmes conclusions : l’essentiel de l’énergie est consommée par l’infrastructure et non par les terminaux[19].
Faist et al. (2003) montre que la part de l’énergie consommée par le terminal diminue dans le total (voir tableau 1). Ceci est convergent avec la tendance globale des infrastructures à prendre un poids croissant, comme le montre la figure 1.
Tableau 1. Part de la demande électrique prise par les terminaux et les infrastructures pour différentes technologies (Faist et al., 2003)
Figure 1. Part de la demande électrique absorbée par l’infrastructure en l’an 2000 et en 2010, suivant différents scénarios (Roth et al., 2002 ; Roth et al., 2005)
Cela signifie que la consommation devient largement indépendante du nombre d’utilisateurs. Ces derniers n’ont aucune prise sur la consommation du réseau et bien peu d’influence sur la consommation totale de l’infrastructure.
D’après Roth et al.[20], cette tendance se confirme. La croissance la plus forte de la demande de l’infrastructure d’ici 2010 est observée dans le scénario « vert » (figure 1), dans lequel la consommation des ordinateurs décline le plus. Ces scénarios ne tiennent pas compte de la demande en puissance de climatisation, or des éléments empiriques laissent penser que les sociétés exploitant les datacenters installent une puissance de froid au moins équivalente à la puissance destinée à l’informatique. Les serveurs restent en effet les plus gros consommateurs dans tous les scénarios.
Cette tendance est à nouveau confirmée par l’étude de Cremer, Aebischer et al[21]. L’étude classe les TIC en trois grandes catégories, comme indiqué dans le tableau 2.
Tableau 2. Classification de l’équipement TIC
La part de l’infrastructure totale (intérieure aux maisons et publique) croît de 29 % dans la demande totale d’électricité. Cette part s’élèvera à 42 % en 2010 (dans 3 ans !). Le taux de croissance va de 7,3 % pour les éléments d’infrastructure à l’intérieur des maisons à 11 % pour les éléments « publics ». Cette augmentation est liée à l’arrivée de la télévision numérique, qui a besoin de divers appareils supplémentaires (adaptateurs, etc.) ainsi qu’à l’UMTS.
Figure 2. Part de la demande électrique pour les usagers finaux et pour l’infrastructure dans les secteurs de consommation finale des ménages et le secteur commercial, en 2001 et en 2010 (Cremer et al., 2003)
L’évolution des systèmes techniques
La tendance est à une course à la puissance et à la multiplication des usages. En termes de consommation absolue, les gains d’efficacité énergétique, motivés en grande partie par des soucis économiques ou techniques d’évacuation de la chaleur, de portabilité des appareils ou de facture électrique, semblent avoir en partie compensé cette augmentation. Mais combien de temps cela durera-t-il ?
Faist montre ainsi qu’à quantité d’informations transmises égale, l’impact d’un terminal UMTS est 35 % plus élevé qu’un terminal GSM[22]. Notons ici au passage que la quantité d’informations transmises mesurée en Gb (gigabits) ne dit rien de la qualité de cette information, qui dépend de son utilité. La comparaison entre les deux services pose donc le problème du critère pertinent de mesure de « l’unité de service rendu ». La demande électrique par Gb continue d’augmenter du téléphone fixe au GSM, puis à l’UMTS.
Figure 3. Demande électrique pour la transmission d’un Gbit, en kWh(Faist et al., 2003) « GSM (opt) » désigne le GSM avec une batterie neuve
On note que le téléphone fixe consommait moins, pour 1 Gb envoyé, qu’un téléphone GSM ou un téléphone UMTS, ce qui contredit les idées reçues sur la tendance « spontanée » des technologies à être plus efficaces.
Au total la consommation tend à croître, en valeur absolue comme en valeur relative. Les scénarios des diverses agences spécialisées dans l’énergie aux États-Unis laissent entrevoir des consommations significatives : entre 190 et 210 TWh d’ici 2020, soit 12 % de la consommation d’électricité des ménages[23]. Une étude européenne estime que les TIC représenteront une consommation de 5 et 23 % de l’électricité dans le tertiaire et domestique en 2020[24]. Ce n’est pas rien. Le monde « virtuel » consomme aujourd’hui autant qu’un pays de 155 millions d’habitants tel que le Brésil[25]. Les consommations d’électricité liées au seul usage d’Internet dans les pays industrialisés sont d’ores et déjà plus élevées que la totalité des consommations électriques de bon nombre de pays peu industrialisés.
[2] F. Berkhout & J. Hertin, Impacts of Information and Communication Technologies on Environmental Sustainability: speculations and evidence – Report to the OECD, 25 May 2001.
[3] F. Berkhout & J. Hertin, op. cit., 25 May 2001.
[4] K.W. Cameron & R.G. Xizhou Feng, High-performance, power-aware distributed computing for scientific applications, in Computer, Nov. 2005, pp.40-47.
[5] K.W. Cameron & R.G. Xizhou Feng, ibid., 2005, pp. 40-47.
[6] C. Cremer, B. Aebischer et al., Energy Consumption of Information and Communication Technology (ICT) in Germany up to 2010, CEPE / Fraunhofer Institute, Project number 28/01, 2003, p. 129 sq.
[7] C. Cremer & S. Rieth-Hoerst, The impact of advanced ICT on energy consumption in Germany until 2010, IEA Workshop, 21-22 Feb. 2002.
[8] ADEME, Consommations d’électricité des ménages en hausse de 2 % en 2006 : il est plus que jamais nécessaire d’inciter à la maîtrise des consommations, communiqué de presse, 30 janvier 2007, http://www2.ademe.fr/servlet/getDoc?cid=96&m=3&id=41961&ref=19684&p1=B
[9] M. Layet, TV: les écrans plats anéantissent 15 ans d’efficacité énergétique, Novethic, 11 avril 2007.
[10] Mark S. Mills & P. Huber, The internet begins with coal, Greening Earth Society, 1999. Voir aussi Mark S. Mills, Kyoto and the internet : the energy implications of the digital economy, Testimony of Mark S. Mills before the Subcommittee on National Economic Growth, Natural Resources and Regulatory Affairs, 2000.
[11] J.A. “Skip” Laitner, Information technology and U.S. energy consumption, Journal of Industrial Ecology, vol. 3, N. 2, 2003.
[12] C. Schafer & C. Weber, Mobilfunk und energiebedarf, Energiewirtschaftliche Tagesfragen, 50 (4): 237-241, cité par K. Fichter, E-commerce – Sorting out the environmental consequences, Journal of Industrial Ecology, vol. 6, N. 2, 2003, p. 28.
[13] Türk (2001, pages 54-55) + thesis p. 60.
[14] Barthel (2001).
[15] H.S. Matthews, Electricity use of wired and wireless telecommunications networks in the United States, in SETAC, 11th LCA Case Studies Symposium – Abstracts, 2003, p. 29.
[16] Y. Loerincik, Sangwon Suh & O. Jolliet, Evaluation of the Environmental Impact of the Internet Infrastructure within a University, in SETAC, 11th LCA Case Studies Symposium – Abstracts, 2003, p. 111-113.
[17] C. Cremer, B. Aebischer et al., Energy Consumption of Information and Communication Technology (ICT) in Germany up to 2010, CEPE / Fraunhofer Institute, Project number 28/01, 2003.
[18] V. Türk, Assessing the Resource Intensity of the Internet Infrastructure – Data Analysis for a Material-Flow Oriented Approach & First Results on Electricity Consumption, Thesis for the fulfillment of the Master of Science in Environmental Management and Policy, Lund, Sweden, September 2001.
[19] T. Furutani, Y. Matsuno, I. Daigo & Y. Adachi, Dynamic model for analysing environmental impacts caused by the information and communication technology (ICT) infrastructure in Japan, in SETAC, 11th LCA Case Studies Symposium – Abstracts, 2003, p. 35.
[20] États-Unis : Roth et al., 2002, 2005.
[21] Cremer et al., 2003.
[23] Walter S. Baer, S. Hassell, B. Vollaard, Electricity requirements for a digital society, RAND Corporation, 2002.
[24] IPTS, The future impact of ICTs on environmental sustainability, EUR21384EN, 2004, p. 30.